Vous y croyez, vous, aux extraterrestres?

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Vous y croyez, vous, aux extraterrestres?

Chronique parue dans France Catholique − N° 1564 – 3 décembre 1976

 

Boucher de Perthes, le fondateur, avec Lartet, de la préhistoire, raconte dans ses mémoires que pendant les trente premières années de cette science, il ne pouvait entrer quelque part sans entendre aussitôt l’une des personnes présentes demander à une autre à voix basse, sur un ton sarcastique: «Vous y croyez, vous, à l’homme antédiluvien?», et l’autre de rire, d’un air entendu.

«Croire» à l’homme «antédiluvien», écrit Boucher de Perthes, c’était alors le propre du simple d’esprit. C’était croire au Père Noël. Boucher, qui fouillait une sablière dans la Somme et en retirait des haches de pierre, des pointes de flèches et autres objets préhistoriques, classait tout cela de son mieux, et, de temps en temps, en envoyait à l’Académie des sciences une caisse que son secrétaire perpétuel, Élie de Beaumont, faisait jeter à la poubelle sans l’ouvrir, à la seule lecture du nom de l’expéditeur, charlatan notoire et maniaque avéré.

Il en va maintenant un peu différemment de l’»Extraterrestre». Prononcer ce mot, c’est aussitôt évoquer, les soucoupes volantes, les ovnis. Pourtant ce n’est pas pareil du tout. La plupart des astronomes «croient aux extraterrestres», c’est-à-dire à l’existence d’êtres intelligents ailleurs que sur la Terre. À vrai dire, je n’ai jamais rencontré un seul astronome, en France ou ailleurs, qui n’y «croie» pas.

Que veut dire ici «croire»? Simplement tenir pour extrêmement probable; penser que, s’il n’existe nulle part ailleurs que sur Terre des êtres intelligents, il faut que la science se soit complètement trompée dans le tableau général qu’elle nous fait de l’univers.

«Croire aux ovnis», c’est bien autre chose: c’est admettre, non seulement que de tels êtres existent, mais qu’on les voit, quoique furtivement, tous les jours. Sur les «extraterrestres», presque tous et sans doute tous les astronomes sont d’accord, je l’ai dit. Sur les ovnis, ils sont partagés. Laissons donc là les ovnis et voyons ce que les savants nous disent des «extraterrestres».

Leur inexistence serait inexplicable, et c’est pourquoi ils y croient. Ce que les observatoires enregistrent dans le ciel montre que la plupart des étoiles ont des planètes. On ne peut pas, sans supposer qu’elles ont autour d’elles un cortège planétaire semblable à celui du Soleil, rendre compte de la chute subite de leur moment cinétique aux premiers instants de leur existence. Pendant leurs premiers millions d’années, les étoiles tournent rapidement sur elles-mêmes, ce que montre le brouillage des raies de leur spectre. Puis, en très peu de temps, leur période de rotation passe de quelques heures ou dizaines d’heures à plusieurs dizaines de jours (25 jours dans le cas du Soleil).

Ce freinage correspond à la perte d’une certaine quantité de mouvement qu’il est très facile de calculer (c’est un calcul à la portée d’un élève de terminale). Cette quantité de mouvement est justement celle que représente la combinaison des mouvements de notre système planétaire et de sa masse répartie en planètes et satellites.

D’autre part, la spectrographie montre aussi que l’espace est un bouillon de culture d’acides aminés, constituants élémentaires de la vie. L’astronomie nous conduit ainsi jusqu’à la biologie moléculaire. À partir de là, tout est observable sur la Terre. Il n’y a donc pas de solution de continuité entre ce que l’on voit dans le ciel et la vie terrestre dans sa fantastique et féconde diversité.

Depuis que, au cours des dernières années, les astronomes ont pris conscience de ces faits, les conséquences en ont mûri rapidement dans leur esprit. Si nous ne sommes pas seuls, certaines de nos activités ne risquent-elles pas de nous mettre en danger?

«Attention! écrivait le 4 novembre dernier Sir Martin Ryle, prix Nobel de physique et Astronome royal d’Angleterre, attention! Si vous vous livrez à certaines expériences décelables depuis les autres étoiles, ne risquez-vous pas de signaler la présence d’une Terre habitable à des êtres plus avancés que nous dans la technologie du voyage spatial, mais aussi prédateurs et dénués d’altruisme que les hommes? Ne risquez-vous d’appeler ici pour notre destruction une espèce à l’affût de nouveaux espaces?»

On ne lit pas cet avertissement lancé à l’Union astronomique internationale sans un certain scepticisme: «Vous y croyez, vous, aux Extraterrestres?» La science-fiction nous en a tellement parlé que, dans notre esprit, ils ont pris place entre le Père Noël et la Belle au Bois dormant. Mais rappelons-nous Boucher de Perthes.

Et d’ailleurs l’affaire se présente tout autrement. Boucher de Perthes essayait en vain de se faire entendre: le public et les savants étaient d’accord pour se moquer de lui. Au lieu que dans le cas de Ryle, les astronomes savent bien que ses craintes sont scientifiquement fondées. Simplement, ceux qui auraient envie d’entreprendre les expériences visées pensent qu’il faut en courir le risque. Selon eux, attirer l’attention des «autres» sur nous pourrait, en cas de réponse, mettre la Terre en rapport avec l’ensemble des intelligences cosmiques ayant déjà pris contact entre elles. Grandiose perspective.

Mais rien de tel ne pourra être tenté tant que l’énergie restera un bien coûteux. C’est-à-dire longtemps encore.

En revanche, chercher si d’autres que nous ne communiquent pas déjà entre eux par des moyens connus de nous ne présente aucun danger, et la NASA vient précisément d’annoncer – le jour même de l’appel de Martin Ryle – que c’est ce qu’elle va faire.

Son projet, appelé Projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence, Recherche de l’Intelligence Extraterrestre), suppose que les «autres» utilisent aussi les ondes radio. Dans ce cas, pensent les promoteurs de SETI, il est «logique» de supposer que les fréquences sur lesquelles se font ces échanges sont comprises dans une bande dont les extrêmes sont 1’420 mégahertz, fréquence de l’hydrogène libre, et 1’662 MHz, fréquence du radical hydroxyle, HO, lui aussi très répandu dans l’espace, fréquence égale à 1’662 MHz. Cette bande est en effet la seule «fenêtre» qui ne soit pas encombrée par des émissions radio naturelles.

Le lecteur se souviendra peut-être qu’un projet assez semblable échoua il y a une dizaine d’années: le Projet Ozma. Ce projet avait «parié» sur la seule longueur d’onde de l’hydrogène et sur seulement deux étoiles. Cette fois, on examinera des milliers d’étoiles, peut-être des millions, et sur des millions de fréquences différentes. Depuis le Projet Ozma, les progrès de l’ordinateur permettent cet élargissement.

Le Projet SETI trouvera-t-il les «autres»? Bien que ses inventeurs estiment «logique» qu’«ils» communiquent par radio, cette supposition paraît bien simpliste. Pourquoi une science pouvant avoir des millions d’années d’avance sur la nôtre, qui est née il y a quatre petits siècles, en serait-elle encore à la radio? S’il en était ainsi, ce serait bien décevant. Simplistes aussi les craintes de Martin Ryle. Si «quelqu’un» est capable de voyager entre les étoiles – ce qui paraît impossible à notre science – «il» n’a nul besoin de nos signaux pour déceler la Terre. Mais à travers ces hypothèses trop simples, les savants prennent lentement la mesure philosophique d’un formidable problème, celui de la pensée non humaine dans le vaste univers des étoiles.

Aimé Michel

 

Note de Jean-Pierre Rospars du 9 novembre 2015:

Le titre originel qu’Aimé Michel avait choisi pour cette chronique était APPELEZ-NOUS, ON EST LÀ! Mais sur l’exemplaire de FC-E qu’il conservait, il avait finalement rayé ce titre avec une brève mention de trois lettres en marge ne laissant guère de doute sur son insatisfaction! J’en ai donc choisi un autre en espérant que celui-là lui aurait moins déplu à terme.

 

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