Supplément au premier chapitre de la genèse

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Supplément au premier chapitre de la genèse

Chronique parue dans France Catholique N° 1510 – 21 novembre 1975

 

Les Russes ont donc déposé sur le sol de Vénus une caméra qui nous a transmis une photo. On y voit quelques cailloux et un horizon bouché par des nuées. Pour obtenir cette photo, il a fallu satelliser un laboratoire autour de Vénus, puis, de ce laboratoire, détacher la caméra, la faire descendre par rétro-fusées et par parachutes.

Tout cela a dû être calculé et suivi à la fraction de seconde à des dizaines de millions de kilomètres de distance, et le résultat en est une photo ne montrant pas grand-chose.

J’ai entendu des gens, et même très bien intentionnés à l’égard de la patrie du socialisme, répéter à cette occasion des arguments bien connus: à quoi bon cette expérience? Pourquoi payer des milliards de roubles la photo d’un astre qui n’est pas notre Terre, quand la campagne russe, désorganisée, peut-être sous-équipée, ne produit plus de quoi nourrir les Soviétiques?

Soljénitsyne, rappelons-nous, n’a pas assez de sarcasmes pour le fameux Spoutnik, dont il apprend le lancement en exil, alors que, de sa fenêtre, il voit de vieilles femmes s’échiner à monter à bras le mortier d’un mur haut de plusieurs étages. Dans sa Lettre aux dirigeants soviétiques, il préconise l’abandon de la «chimère spatiale», dont il compare les méfaits à ceux de la «chimère révolutionnaire», comme Jean Rostand «Nous avons tant à faire sur cette planète! D’abord notre planète! Les autres, on verra après!»

Je respecte infiniment Soljénitsyne et beaucoup Jean Rostand. Mais en l’occurrence, leur raisonnement est plus ancien qu’ils ne croient. L’histoire la plus respectable est remplie d’actes aussi inutiles que l’exploration d’une planète. À quoi pensaient des hommes aussi sérieux qu’Ampère ou Coulomb en s’amusant à faire passer de petits courants électriques dans des bouts de fil de cuivre? Galilée n’avait-il pas mieux à faire que regarder balancer un pendule ou à jeter des cailloux du haut de la tour penchée de Pise? Et Newton, vautré dans un pré, à regarder tomber des pommes?

Je défie qu’on me cite une grande découverte ou un haut fait scientifique qu’on n’ait pas d’abord tenu pour dérisoire, absurde, inutile. Très souvent d’ailleurs, c’est le découvreur lui-même, qui croit dur comme fer à cette inutilité!

On rapporte cette conversation:

Un journaliste. – Monsieur Hertz, avec les ondes que vous avez découvertes, on va pouvoir supprimer les fils du télégraphe.

Hertz (furieux). – Vous n’avez rien compris à ma découverte. Ce que vous dites est idiot! Je vous interdis d’écrire une pareille sottise!

***

Bon, mais Vénus? À quoi peut bien servir Vénus?

J’ai autant de réponses que l’on voudra à cette question. À quoi?

Premièrement, à obtenir l’automatisation complète et la complète fiabilité d’opérations complexes, telles que hisser du mortier à la hauteur d’un huitième étage et en faire un mur, sans l’intervention d’aucune vieille femme. La technique spatiale a déjà transformé l’électro-ménager, mais ce n’est qu’un début. Il ne faut jamais oublier qu’un grand projet spatial se réalisant maintenant concrétise des plans déjà vieux de plusieurs années, et qu’inversement cette réalisation ne communiquera le résultat de ses avances technologiques que dans plusieurs autres années.

Deuxièmement, à découvrir les lois d’organisation d’un grand projet technologique sans avoir à frémir si on le rate. Il me souvient qu’à l’époque des premiers satellites, les bons esprits défenseurs de l’humanisme et du travail utile soupiraient: «Que de barrages d’Assouan ne ferait-on pas avec tout cet argent, pour nourrir le tiers-monde!» Grâce à Dieu, on n’a fait qu’un barrage d’Assouan, cette catastrophe.

Mais tout cela, c’est du technologique, dira-t-on. Pourquoi ne pas user de cet argent pour les hommes?

À quoi peut bien servir Vénus?

Diable! Et à quoi sert la technologie? Là, le malentendu est irrémédiable avec les disciples d’Ivan Illitch, d’ailleurs écho de Gandhi. Dans son dernier livre (que j’ai déjà vivement recommandé au lecteur), Arthur Koestler[1] rapporte ce soupir d’un disciple de Gandhi «qu’il fallait énormément d’argent au mâhatma pour vivre pauvrement!»

Eh oui: vivre pauvrement, avec un rouet, une chèvre qu’on va élever en Lozère, c’est très cher. C’est un luxe. Refuser la technologie est un luxe très dispendieux: les choses sans technologie ne marchent qu’avec des esclaves. Mes parents, qui ont passé leur vie de travail avant l’introduction des machines dans les hautes vallées alpines, ont été esclaves et sont morts à la tâche. J’aime mieux la machine.

La bicyclette de M. René Dumont est un engin exorbitant. On voit que son propriétaire est un professeur bien payé. Bien payé d’ailleurs grâce à la haute productivité de la technologie française.

***

Revenons à Vénus. On sait que cette planète est la sœur jumelle de la Terre, dont elle a l’exacte dimension. Son destin, pour des raisons inconnues, a été très différent: l’eau, chez elle, n’a pas précipité, il ne s’y est pas formé d’océans: tous les fluides de sa surface sont gazeux, et l’effet de serre qu’ils y produisent provoque une température de 500°. Mais il y a du gaz carbonique, de l’azote, de l’eau (quoique peu) dans son atmosphère.

De l’eau (même gazeuse), du gaz carbonique, donc du carbone et de l’oxygène, de l’azote: c’est-à-dire tout ce qu’il faut pour certaines bactéries terrestres. Et voici le calcul qu’a fait l’astrophysicien américain Carl Sagan: jetons de ces bactéries dans l’atmosphère vénusienne, et attendons.

Les bactéries vont proliférer, fixer le carbone et libérer l’oxygène (c’est la manie qu’elles ont).

L’effet de serre dû au gaz carbonique va régresser d’autant. La température baissera. À mesure, les bactéries envahiront des couches de plus en plus basses de l’atmosphère.

À un moment, l’effet de serre baissant toujours, le point critique de la liquéfaction de l’eau sera atteint. Il pleuvra. Le ciel s’éclaircira. Les eaux qui sont au-dessus du firmament se sépareront des eaux qui sont au-dessous du firmament.

Ensuite… Mais cela a déjà été raconté (Gn 1, 9).

Et franchement, sans vouloir jouer au théologien, je crois que «Dieu trouverait cela bon».

Une deuxième Terre, pourquoi pas? Ne viendrait-elle pas à point?■

Aimé Michel

Note:

(1) Arthur Koestler: Devant le néant (Calmann-Lévy).

 

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