Remous dans l’univers des «soucoupes»
Article paru dans Planète N°41 (Le Journal de Planète) de juillet / août 1968
Depuis l’article du groupe XXX sur les soucoupes volantes et la guerre secrète, un certain nombre de faits intéressants se sont produits.
La Russie s’aligne sur les U.S.A.
En Russie, l’Armée a dessaisi le Comité d’étude (en partie composé de civils) qui avait été formé l’automne dernier sous la direction du général Stolyarov. Désormais, l’Armée seule poursuivra l’investigation du problème. Raison donnée: «L’affaire est trop sérieuse pour être laissée entre les mains de civils.» On pense au mot exactement contraire de Clemenceau sur la guerre… Cette décision des militaires russes est intervenue après une première investigation portant uniquement sur le nombre de cas enregistrés par les bases de l’Armée de l’air. Les enquêteurs ont été horrifiés de découvrir environ 15’000 cas attendant qu’on les étudie. Quelques semaines plus tard, un communiqué de l’Académie des sciences de l’U.R.S.S. déclarait qu’ayant consacré une séance à l’étude de ce sujet, les académiciens avaient reconnu qu’«il n’y avait rien». Bien entendu, ce communiqué ne donne aucun détail, ne se réfère à aucune étude, ne cite aucun cas. Comme il est peu vraisemblable que 15’000 cas aient été sérieusement examinés en une séance académique, on ne peut que rapprocher cet opportun communiqué de la décision prise précédemment par les militaires de se réserver l’exclusivité du problème. Ainsi, décevant les espoirs que les savants occidentaux avaient mis en eux, les Soviétiques ont décidé de choisir la voie américaine: chez eux comme aux États-Unis, l’étude des soucoupes volantes restera la chasse gardée des militaires avec, comme corollaire, le secret.
Ce choix est significatif. En décidant de livrer la question aux chercheurs civils – c’est-à-dire au public – ils auraient eu la possibilité d’obliger les Américains à faire de même. C’eût été une défaite pour l’armée et les services de renseignements américains. Les Russes ont jugé que le prix à payer – le dessaisissement de leurs propres militaires et services secrets – était trop élevé. II s’avère une fois de plus que l’Armée est une caste ou, si l’on préfère, une classe, et qu’un militaire préfère toujours l’entente implicite avec le militaire d’en face plutôt qu’avec le civil de son propre pays.
Une imposture américaine découverte
Aux États-Unis, le grand événement du début de l’année est l’éclatement du Comité Condon. Le Comité subsiste certes formellement: il publiera son rapport comme prévu (sauf nouvelle crise), mais il a malheureusement perdu toute considération dans les milieux scientifiques. Tout n’est pas encore connu des circonstances qui ont amené la crise du mois de janvier, mais voici ce qui est certain. Au cours de l’automne 1967, un senior-member du Comité dont le nom n’a pas été révélé est invité par une association d’instituteurs à venir faire un exposé sur les travaux du Comité Condon. Désireux de donner des détails sur l’origine du Comité et sur l’histoire de sa création, il est amené à fouiller dans un dossier intitulé «Contrat avec l’Air Force et arrière-plan».
Ce dossier contenait un certain nombre de pièces concernant les pourparlers préliminaires à la création du Comité et les servitudes imposées par l’Air Force. Et parmi ces pièces, le chercheur découvre un texte signé de Robert Low (par la suite nommé administrateur du Comité, en fait son animateur) et où ce dernier définissait en ces termes les buts assignés au futur Comité[1]:
– Notre étude serait conduite à peu près exclusivement par des gens qui n’y croient pas et qui, quoique ne pouvant peut-être pas démontrer un résultat négatif, pourraient probablement produire un corps de preuve montrant de façon convaincante qu’il n’y a aucune réalité dans les observations (an impressive body of evidence that there is no reality to the observations). La ruse (trick) consisterait, je pense, à décrire le Projet (c’est-à-dire le futur Comité Condon) de telle façon qu’aux yeux du public il apparaîtrait comme une étude absolument objective, et qu’aux yeux de la communauté scientifique il offrirait l’image d’un groupe de gens qui n’y croient pas, faisant de leur mieux pour être objectifs mais n’ayant aucun espoir de mettre la main sur une soucoupe. Un moyen de parvenir à ce but consisterait à faire porter l’investigation non sur les phénomènes physiques, mais plutôt sur les gens qui font les observations.
Un procès en diffamation intenté à Condon
Le senior-member, à cette lecture, éprouva quelque surprise. Il croyait avoir été engagé pour étudier un phénomène: il découvrait qu’il n’était que l’instrument d’une imposture. Les lecteurs de la dernière édition de mon livre[2] auront remarqué que la «ruse» de l’U.S. Air Force et de ses employés (dont Bob Low est l’administrateur) était depuis longtemps éventée dans les milieux informés. Que les chercheurs comme moi aient été mieux informés des plans de l’Air Force que les naïfs savants engagés par elle montre, du reste, le mépris où elle les tient. Seulement, il est prudent de mépriser avec discrétion. Indigné, le senior-member prit une copie de ce cynique exposé et s’en fut le montrer à ses collègues. Ils pensèrent d’abord démissionner en bloc. Puis ils changèrent d’idée, se disant qu’il valait mieux rester dans la place pour voir ce qui s’y faisait, et se bornèrent à communiquer le texte de Bob Low au professeur McDonald qui, on le sait, milite depuis longtemps pour mettre fin au monopole militaire.
Malheureusement, McDonald est un impulsif. II commit l’erreur d’écrire à Condon pour lui dire ce qu’il pensait de sa servilité à l’égard de l’Air Force et, erreur plus grave encore, de citer deux des chercheurs du Comité Condon qui désapprouvaient cette attitude, les docteurs David Saunders et Norman Levine. Condon les mit sur le champ à la porte, en précisant dans un communiqué à la presse que leur exclusion du Comité avait pour motif leur «incompétence», mais après les avoir avertis en tête à tête qu’ils seraient «ruinés professionnellement pour avoir communiqué le texte de Bob Low à McDonald». À ce tête-à-tête assistait heureusement aussi l’adjoint de Bob Low, Mrs. M.L. Armstrong. La doctoresse Armstrong vient de démissionner du Comité Condon pour apporter son témoignage aux docteurs Saunders et Levine, qui attaquent Condon en diffamation. Tout cela, on le voit, est assez déshonorant. Condon lui-même, qui a accepté cette besogne par patriotisme — le «patriotisme» d’un Teller, celui qu’il montra naguère en collaborant à la première bombe H – en est fatigué. Il déclare à qui veut l’entendre qu’il serait bien heureux de rendre les deux cent cinquante millions alloués par l’Air Force pour monter cette «ruse» éventée. Trop tard. Cet honnête homme paie de sa réputation vingt ans de mensonges de l’Air Force. On peut mentir quelque temps à tout le monde, tout le temps à quelques-uns. Vingt ans au monde entier, c’est impossible, même avec deux cent cinquante millions et l’honneur d’un savant. J’ai cru en Condon au moment où il créa son comité.
La recherche sérieuse continue
Et pendant ce temps, que devient la recherche? Elle continue et continuera par la force des choses sur sa précédente lancée, c’est-à-dire clandestinement, puisqu’il faut (provisoirement du moins), renoncer à voir les militaires confier leurs dossiers à des instances civiles. Sans doute Hynek et McDonald seront-ils les premiers savants à publier quelques-uns de leurs résultats. Mc Donald a déjà commencé. Dans un volumineux rapport établi en collaboration avec Ted Bloecher[3], il vient de présenter une étude qui fera date sur la vague d’observations de 1947. Résumons. Le 24 juin 1947, Kenneth Arnold faisait l’observation historique qui déclenchait l’affaire des soucoupes volantes. Pendant les semaines qui suivirent, on rapporta un certain nombre de cas, ce qui amena le ministre James Forrestal à créer, à la fin de l’année, la première commission d’enquête de l’Air Force. II y a trois ans, Ted Bloecher eut une idée: derrière les 15 ou 20 cas connus de juin-juillet 1947, n’y aurait-il pas eu, par hasard, une véritable vague passée inaperçue à l’époque? Pour le savoir, il suffisait, selon une méthode déjà utilisée précédemment avec succès par Don Hanlon pour la vague de 1897, d’éplucher à la loupe la chronique locale des innombrables petits journaux qui pullulent aux États-Unis où chaque village a le sien. Mais parcourir l’immense pays en long et en large, cela coûte cher: Ted Bloecher n’hésita pas à s’engager dans une troupe théâtrale ambulante. Et dans chaque petite ville, entre deux représentations, il photocopiait les archives du journal local. Son intuition se révéla juste au-delà de tout espoir. II y avait bien eu une vague: entre le 15 juin et le 10 juillet, il ne dénombra pas moins de 853 cas rapportés par la presse de 1947. Kenneth Arnold n’était pas du tout le premier. II n’était que le premier à avoir retenu l’attention des agences de presse, c’est-à-dire des grands journaux américains et étrangers. De très nombreuses observations avaient été rapportées avant lui.
Ces 853 cas, soulignons-le, correspondent seulement aux localités traversées par la troupe de Ted Bloecher. Si l’on généralise à l’ensemble du pays, on doit dépasser les 2’000 cas. Mais le plus intéressant n’est pas dans le nombre. II est dans la structure: cette vague qui dormait sous la poussière des archives jamais consultées présente exactement les caractéristiques découvertes après 1957, après que j’eus analysé pour la première fois dans le détail le phénomène de vague. On y trouve en particulier tous les types d’observation décrits dans mon livre, dix ans plus tard, à la seule lumière des observations françaises, à l’exception de l’atterrissage complet (mais il y eut des atterrissages ailleurs à cette époque). McDonald retrouva notamment une très belle observation de cigare (type II B de la classification Vallée). Tout l’ensemble du phénomène dans ses détails les plus saugrenus, du genre «qui ne s’invente pas», est décrit en détail dans cette vague de 1947. Hynek a déclaré un jour que l’on peut facilement donner une description complète du phénomène soucoupe «à partir des seules observations des deux dernières années». On peut, en fait, la donner à partir de n’importe quel échantillonnage, de n’importe quelle période et de n’importe quel lieu: il s’agit bien d’un phénomène homogène, comportant une structure unique. Est-il besoin d’ajouter que la nature de ce phénomène n’est plus mise en doute par aucun de ceux qui l’ont étudié directement, sur le terrain? II s’agit bien pour eux d’une manifestation intelligente extra-terrestre. Voilà une idée à laquelle il va falloir s’habituer.■
Aimé Michel
Notes:
[1] Robert Low: Some Thoughts on the UFO Project, texte daté du 9 août 1966.
[2] Aimé Michel: À propos des soucoupes volantes, postface, pp. 292 et suivantes.
[3] J. McDonald et Ted Bloecher: Report on the UFO Wave of 1947 (Ted Bloecher, 1967). Édité par le Nicap, 1536, Connecticut Av. N.W., Washington DC 20036.