Requiem pour des Chimères Très Anciennes

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Requiem pour des Chimères Très Anciennes

Préface du livre de Bertrand Méheust, Science-Fiction et Soucoupes volantes, Mercure de France, 1978,
et Terre de Brume, 2007

 

Science-Fiction et Soucoupes volantes

 

Science-Fiction et Soucoupes volantes

C’est avec un rire joyeux et secret que j’ai tourné la dernière page de ce livre remarquable.

Vraiment, les temps ont changé. Est-il encore possible, en 1978, d’imaginer la solitude de ceux – ils se comptaient alors dans le monde sur les doigts d’une main – qui, réfléchissant il y a trente ans, après leurs premières enquêtes, reportaient leur regard sur le monde intellectuel où ils baignaient et lui trouvaient soudainement l’air d’un très vieux rêve évanoui depuis longtemps?

Beaucoup de lecteurs de Méheust, peut-être même chez les ufologues, vont éprouver ce sentiment unique que nous connûmes alors, de découvrir qu’ils vivent dans un monde périmé. Ils vont sentir le sol se dérober. Méheust montre en effet que l’ovni destructeur est apparu dans l’esprit de l’homme par au moins deux voies contradictoires et indissociables. Par la fiction d’abord, puis par l’anti-fiction.

Mes chers contemporains, il faut en prendre votre parti: quand vous créez de la fiction, peut-être n’est-elle pas ce que vous croyez; peut-être prend-elle sa source dans des réalités qui ne doivent pas l’essentiel à votre pensée, même ensevelie sous les incertaines sophistication de l’inconscient et du symbole. Eh oui! mes très chers contemporains, il va peut-être falloir (et personnellement je répète depuis une génération qu’il va certainement falloir) tout reprendre à zéro.

Tout: d’abord l’interprétation de l’histoire, dont la gigantesque tautologie se mord la queue depuis les Grecs rationalistes, car toute vérité avérée cache peut-être une autre vérité bien plus profonde et contradictoire; la philosophie, qui se croyait morte et qui n’était pas née; la religion, qui va devoir se remettre aux miracles, aux anges, à la relecture enfantine des textes, et ranger à la garde-robe les élucubrations de ses sages ou crus tels; la morale, la politique, car dites-moi, si quelque chose de plus grand se cache derrière tout acte humain? la science enfin, mais il faut dire que la science a depuis longtemps commencé son aggiornamento, grâce, comme le note Méheust, à son effort louable mais toujours raté d’en finir avec les ovnis.

Laissons pour cette fois les philosophes, les idéologues et les théologiens, qui, n’étant jamais confrontés aux faits, vont continuer pendant un temps encore indéterminé à s’agiter comme des fantômes dans leurs cathédrales englouties. Voyons plutôt ce que disent les savants.
«L’opinion qui prévaut au sein de la communauté scientfique est celle d’une vie largement répandue dans l’univers[1]» Et: «Curieusement, si l’on examine le phénomène ovni avec l’idée dy chercher des preuves (“evidences”) de visites extra-terrestres, ce sont les rapports de plus “haute étrangeté” (rencontres rapprochées de deuxième et de troisième type), qui sont le plus aisément compris[2]

Je recommande au lecteur incrédule (il faut toujours être incrédule) de lire les discussions qui se développent depuis un an ou deux dans les publications astronomiques américaines et anglaises telles que Icarus ou le Quarterly Journal of the Royal Astronomical Society, puis de remonter, par la bibliographie, aux sources de ces discussions. La deuxième citation (celle de Kuipe) résume les conclusions admises au début de l’année 1978: la vie est partout, et depuis un temps indéfini, répandue dans l’univers, et la perception que nous pouvons nous attendre à en avoir dans le contexte humain est à rechercher aux plus hauts niveaux d’étrangeté.

Peu importe que l’argumentation se poursuive et que seule la majorité de la communauté scientfique (et non sa totalité) accepte ces idées. L’important est que ces idées sans précédent philosophique existent dans l’esprit d’une communauté de réflexion: comme je l’ai dès longtemps remarqué et écrit, les idées vraiment révolutionnaires se propagent d’abord par leur réfutation. Elles commencent par venir (d’où?) à l’esprit de quelqu’un qui se dit: «Non, vraiment, il serait trop fantastique de supposer que…», qui en parle à quelques amis sûrs, qui le répercutent de proche en proche, jusqu’à ce qu’un téméraire commence à écrire et à publier.

Ce que nous dit Méheust- ce qu’il démontre, je crois bien – est évidemment absurde et fantastique. Mais si l’on suit le raisonnement des astronomes, rien n’est plus plausible que ce fantastique-là. C’est ce genre d’absurdité qu’il faut s’attendre à déceler dans la croissance et l’être de la pensée terrestre si l’on y cherche la possible présence d’une autre pensée.

Peut-on négliger de la chercher?

Sur ce point les astronomes sont divisés. Il y a ceux qu’on peut appeler la «tendance Sagan»[3] , qui estiment l’étrangeté probable trop supérieure à nos moyens de recherche utile et préconisent de s’en tenir à la seule voie radio-astronomique, prometteuse, pensent-ils, d’un modeste contact avec d’autres êtres peu supérieurs à l’homme; puis il y a ceux de la «tendance Kuiper-Guérin»[4] qui, tout en applaudissant aux recherches classiques de leurs collègues, et pour certains y collaborant, pensent qu’il ne faut reculer devant aucune voie. Il y a même une troisième tendance: ceux qui, comme le physicien théoricien Jean-Pierre Petit, pensent que la communication interstellaire passe par la résolution préalable de problèmes de physique fondamentale et l’établissement d’une théorie plus générale des possibilités de la nature.

On voit que la tendance Kuper-Guérin (K.-G.) prévoit et même exige des recherches du genre de celles de Méheust. Puis-je, à ce point, émettre ma seule sérieuse réserve à l’égard de notre auteur? C’est que, tout saisi par l’immensité du vide ouvert sous ses pas, et qui certes est réel, il ne pense peut-être pas assez au formidable effort de prédiction accompli par les astrophysiciens, qui, somme toute, seraient bien embarrassés si ce vide effrayant n’existait pas. L’astrophysique prévoit et explique ce vide. Elle serait incapable d’expliquer qu’il n’existât pas. Son absence contredirait tout ce que l’on sait[5]. Et sa présence, nous l’avons vu, est à chercher du côté du plus étrange. Il y a donc convergence entre l’absurde ici démontré et la prévision.

Mais s’il en est ainsi, on ne peut pas partager pleinement l’idée de Méheust qu’il faut désormais favoriser plutôt le côté humain de l’investigation. C’est de ce côté que les bouleversemnents maintenant inévitables nous transformeront le plus profondément, c’est vrai. Mais l’ébranlement peut venir de n’importe où, et de la science plus probablement que d’ailleurs.

Nous en ressentons d’ailleurs les premières secousses, et précisément du côté des savants.

C’est chez eux que naît ce «nouveau paradigme» dont Edgar Morin et d’autres voient l’urgente nécessité. Le mot paradigme ne parle qu’aux philosophes. Un jour les fantômes et les cathédrales englouties se trouveront avoir complètement disparu. L’évolution spontanée de la science nous conduira à comprendre de nouvelles choses simples, qui auront remplacé les vieilles choses incertaines où nous sommes perdus. Tiens, remarquera un philosophe, nous avons changé de paradigme. Lisez ce livre. Vous comprendrez ce qui se passe quand les vieilles choses incertaines commencent à se dissiper.

Aimé Michel

Notes:

[1] Schwartzman, D. W.:  in Icarus, 32, 1977, p. 473. Icarus est la revue de physique planétaire la plus renommée chez les astronomes (américaine, dirigée par Carl Sagan).

[2] Kuiper, T. B. H.: Interstellar Contact in Evolving Universe, étude préparée pour le Symposium de l’Institut américain pour l’aéronautique et l’astronautique, 28 janvier 1978. T. B. H. Kuiper appartient au Jet Propulsion Laboratory, responsable notamment des expériences Viking.

[3] Sagan, Carl: Cosmic Connection (Le Seuil, Paris). Sagan appartient lui aussi au Jet Propulsion Laboratory, lequel se trouve donc être à la fois le promoteur des expériences les plus audacieuses de la NASA et l’un des endroits du monde où les étrangetés qui nous occupent sont le plus méditées.

[4] Pierre Guérin, maître de recherche à l’Institut d’astrophysique de Paris, le premier astronome à s’être intéressé aux ovnis.

[5] C’est à quoi ne pensent pas ceux qui continuent de prouver l’inexistence des ovnis. La pensée extraterrestre existe à coup sûr, universelle. Si elle était indiscernable aux hommes, ce serait un bien grand mystère, qu’il faudrait expliquer.

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