Nos enfants sont-ils plus intelligents que nous?

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LES ÉTONNEMENTS D’AIMÉ MICHEL

Nos enfants sont-ils plus intelligents que nous?

Article paru dans Écho de la mode – date inconnue

 

Les pyramides d’Égypte, observe Pierre Dumayet, témoignent, par leur forme, qu’il y a quatre mille ans les ouvriers avaient déjà tendance à en faire de moins en moins.

Profonde réflexion. Mais que penser de la pyramide sociale? Les psychologues qui sondent les profondeurs de l’intelligence humaine se sont demandé si, dans ce mystérieux domaine, la nature est un bon ouvrier. En fait-elle, elle aussi, de moins en moins? En d’autres termes, nos pères étaient-ils plus intelligents que nous? Je me souviens d’un échange aigre-doux que j’eus avec mon vieux professeur de philosophie quand je préparais mon bachot.

— De mon temps, affirma-t-il un jour, il y avait moins de crétins.

Je lui citai une pensée de Pascal: «Plus on a d’esprit, plus on en trouve aux autres», suggérant que c’était peut-être la raison pour laquelle il nous trouvait plus bêtes que les potaches de sa jeunesse.

Si cela lui fit plaisir, il ne le montra pas. À l’époque, la psychologie était une parente maigre — très maigre — de la philosophie. Aussi mon professeur ignorait-il les travaux du psychologue anglais R. B. Cattell, où il aurait pu trouver un argument massue pour clouer le bec à mon insolence. Voici le raisonnement de Cattell. Il est aussi déplaisant qu’irréfutable (en apparence).

D’une part, constate le savant anglais, il est évident que les individus plus intelligents se débrouillent mieux que les autres: donc, d’une façon générale, ils tendent à accéder aux classes supérieures de la société. D’autre part, l’étude de l’état civil montre que ces classes supérieures de la société ont proportionnellement moins d’enfants que les couches plus modestes de la population. Comme les enquêtes socio-psychologiques prouvent que l’intelligence est une performance très largement héréditaire, il faut en conclure que l’ascension des individus intelligents dans les classes supérieures, où ils cessent de se multiplier, constitue un mécanisme de «crétinisation» de la masse!

Cattell prévoyait donc une baisse du quotient intellectuel moyen de la société anglaise égale à environ trois points tous les dix ans. Un de ses collègues, Frayer Roberts, arrivait à la conclusion moins pessimiste, d’une baisse du niveau mental du peuple anglais égale à un point et demi par génération…

Bien entendu, on ne peut prendre connaissance de ces affligeantes conjectures sans avoir aussitôt envie de poser la question: Qu’appelez-vous au juste quotient intellectuel? Est-il vraiment prouvé que l’intelligence soit héréditaire?

Il y a partout des imbéciles…

Un mot, donc, de ces deux problèmes. Le quotient intellectuel, ou Q. I, est un chiffre obtenu au terme d’un examen de tests d’intelligence longuement mis au point par les psychologues (Binet, puis Terman). Ces tests ne font appel ni à la mémoire, ni à la culture, ni à l’instruction de celui qui les subit, mais bien uniquement et indiscutablement à son intelligence. Leurs résultats, après beaucoup d’objections, ont été finalement admis par tout le monde. Une objection qui ne me paraît pas cependant avoir jamais été réfutée de façon convaincante est celle-ci: Comment affirmer que les psychologues qui ont établi ces étalons de l’intelligence savent de quoi ils parlent? Et s’ils étaient, eux-mêmes, des imbéciles? Il y en a partout, même chez les savants. Mais passons, puisque tout le monde est d’accord. Précisons seulement que dans la mesure du Q. I., la moyenne se chiffre à 100 et les niveaux intellectuels les plus sublimes à 160.

Quant à l’hérédité de l’intelligence, il est vrai qu’elle semble, en gros, prouvée (toujours si les tests sont bons). Quand on teste un groupe de parents et un groupe d’élèves, on constate que les élèves notés au plus haut sont, en général, les enfants des parents, eux aussi, les mieux notés. Inversement, on constate que, d’une façon générale, parents et élèves ayant les Q.I. les plus bas appartiennent aux mêmes familles.

Il semble donc bien que le raisonnement de Cattell soit irréfutable, et, de fait, on ne voit pas comment le réfuter. L’avouerai-je? Personnellement, ce genre de raisonnements irréfutables me comble d’aise.

Car réfléchissons, Cattell, Frayers Roberts et leurs collègues, si experts à mesurer l’intelligence des autres, ont publié leurs résultats en 1938-1940. Depuis, il s’est écoulé trois fois dix ans. Donc, à en croire Cattell, le bon peuple anglais aurait perdu trois fois trois points, soit neuf points au Q.I. de Terman. Pourquoi ne pas poursuivre à présent le travail de ces chercheurs, retourner dans les écoles et mesurer l’inévitable crétinisation survenue, à les en croire, pendant ce délai.

Eh bien, cela a été fait et par Cattell lui-même (entre autres). Et il faut croire que quelque chose clochait dans les calculs de 1937, puisqu’en 1950, loin de constater un déficit mental, Cattell trouvait un gain de 1,28 point. En Amérique (où Cattell avait prévu une chute de 4,4 points tous les dix ans), on constata un gain de 15 points en trente ans!

…mais de moins en moins de crétins!

Bref, il faut en prendre son parti: nos enfants sont plus intelligents que nous. Ce progrès est avéré partout dans le monde. Il est encore plus spectaculaire dans les pays neufs, au Japon, en Israël, dans certains pays ex-coloniaux comme les îles Hawaii. N’en déplaise à mon défunt professeur de philosophie, il y a de moins en moins de crétins.

Cependant, gardons-nous d’une présomption aussi sotte que le pessimisme des psychologues anglais des années 30: rien en effet ne prouve que l’intelligence mesurée par les tests soit bien la vraie intelligence. On a même une très troublante raison d’en douter: c’est qu’un ordinateur convenablement programmé bat aux tests de Terman les cerveaux les plus éblouissants. Diable! Ce progrès de l’humanité entière sur l’échelle des tests ne traduirait-il que sa mécanisation? Et faudra-t-il un jour, pour nous sauver de ce péril, réapprendre à être bêtes? Décidément la vie est compliquée.

Aimé Michel

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