Les origines de l’homme ou des légendes qui s’écroulent
Chronique parue dans France Catholique − N° 1591 – 10 juin 1977
Le physicien Américain Tom Bearden, théoricien de la physique mathématique et spécialiste de l’armement nucléaire, prévoit qu’à la suite des découvertes révolutionnaires actuellement en gestation, l’humanité passera au cours des décennies à venir – peut-être au début du XXIe siècle – par une période de choix total. Nos proches descendants, dit-il, seront forcés par leurs connaissances nouvelles, ou bien de s’effondrer et de disparaître, ou bien de procéder à ce qu’il appelle le «linkage», c’est-à-dire l’interconnexion non plus seulement morale, mais matérielle, physiologique, de leurs cerveaux.
Selon lui, les hommes ne disposeront que d’un temps très court, quelques dizaines d’années, pour opérer ce choix[1].
Je ne pense pas qu’il existe un seul physicien réfléchissant sur les frontières actuelles de la physique pour douter de cette échéance historique, et même, peut-on dire, cosmique, et, si l’on va au bout, religieuse. Plusieurs expériences actuellement en cours dans les laboratoires tournent autour de l’énigme d’où sortira la nécessité du choix: la vraie nature de ce qui se cache derrière le «niveau quantique», ce niveau où se font les particules et les ondes.
Il y a plusieurs interprétations encore possibles, dont les deux principales sont celle d’un Américain, Wheeler, et celle d’un Français que les lecteurs de ce journal connaissent bien, Olivier Costa de Beauregard.
Les récentes expériences donnent, semble-t-il, raison à notre compatriote. Mais que l’une ou l’autre interprétation l’emporte, l’accès au domaine subquantique nous livrera de toute façon un niveau «monstrueusement» nouveau de la nature, selon le mot de Costa de Beauregard lui-même: celui où ce qui est ici est aussi à tous les instants.
Je reviendrai sur ces expériences, vraiment sans précédent du point de vue philosophique. Il est bon, et peut-être il ne va pas sans une certaine mélancolie, au moment où l’esprit de l’homme va se trouver contraint à sa première mutation vers le surhumain, de se retourner vers les temps lointains où, obéissant à une Loi antérieure à tout temps, l’homme fit son apparition sur la terre.
J’ai souvent abordé ici ce sujet, et des lecteurs me demandaient alors où, dans quel livre accessible, l’on pouvait se familiariser avec l’ensemble des connaissances acquises en dehors de toute théorie, avec les faits, rien que les faits, tous les faits.
Eh bien, cette fois, on peut donner une réponse. Deux volumes que vient de publier l’infatigable Pr P. P. Grassé satisfont exactement à cette curiosité sans jamais balayer sous le tapis les problèmes non résolus[1].
L’originalité presque unique du Pr Grassé est qu’en effet non seulement ses connaissances immenses ne l’ont pas incité à construire un nouveau système (généralement destiné à s’effondrer vingt ans plus tard) mais, jointes à un esprit critique toujours en éveil, lui ont montré comment tous les autres systèmes mutilent la réalité telle que la montrent les fossiles et la zoologie comparée. En voici quelques exemples frappants, et qu’il faudra désormais se rappeler.
D’abord, l’»ascendance simienne» de l’homme ne signifie plus rien.
L’homme n’est pas un singe descendu de l’arbre pour s’aventurer peu à peu en terrain découvert, se redresser sur ses deux membres inférieurs au cours des millions d’années, etc. Tout cela, c’est du roman. Comment le sait-on? De la façon la plus probante: par les dates.
Il existait un animal déjà vertical, ancêtre de l’homme, il y a sans doute plus de 20 millions d’années. En réalité, l’ascendance humaine prend sa source dans un fond très lointain, alors que les singes étaient encore bien loin de ce qu’ils nous montrent maintenant. D’autre part cette ascendance animale de l’homme a elle-même évolué, en tout semblable à nous sauf par la taille et le volume cérébral, pendant peut-être deux dizaines de millions d’années avant de devenir «les premiers hominiens avérés, les Australopithèques, il n’y a guère plus de 6’500’000 ans». On ne connaît pas avec certitude de primate fossile faisant la jonction «entre les anthropoïdes de la souche présumée et les Australopithèques».
Résumons: les origines humaines se perdent dans la nuit des temps, les ressemblances les plus frappantes de l’homme avec les singes actuels ont très probablement été acquises alors que leurs lignées étaient depuis très longtemps séparées.
Et pourtant que de chemin entre l’Australopithèque, déjà capable de se tailler de grossiers outils, et nous! C’était un petit être d’une vingtaine de kilos, et son cerveau pouvait peser moins de 400 grammes, moins que celui des grands singes actuels.
Autre légende née de la manie systématisante: «notre ancêtre l’homme de Néandertal».
Que l’homme de Néandertal ait été un homme non seulement par le corps mais du point de vue psychique, et l’on peut dire spirituel, comment en douter? Sans parler de son talent à tailler la pierre (il suffit d’une visite au musée de Saint-Germain-en-Laye pour en avoir une idée): «Les Néandertaliens s’adonnaient au culte des morts… Dans le fond de la fosse, les hommes de Néandertal disposaient des pierres plates formant un dallage grossier. Le cadavre était replié sur lui-même, probablement maintenu dans cette position par des liens posés alors qu’il n’était pas encore rigide ou après des massages assouplissants prolongés. Auprès du mort, des vivres (quartiers d’animaux…), des armes… afin de lui assurer une vie surnaturelle». Ailleurs, on a trouvé des traces de fleurs.
Voilà donc un être qui disposait ses morts comme un fœtus dans le ventre de sa mère en vue de sa renaissance future et le pourvoyait de tout un viatique pour le voyage de l’au-delà. Cela se passait il y a plus de 200’000 ans. Mais cela se passait aussi il y a quelque 50’000 ans, alors que l’homme moderne, l’homme tout court, existait déjà depuis des dizaines de milliers d’années.
Grassé, analysant les traits saillants du crâne de Tautavel, montre qu’il partage certains caractères avec le pithécanthrope et avec l’homme moderne, «mais n’a rien à voir avec un Néandertalien». Bien plus, quand on compare les restes des Néandertaliens entre eux, on constate qu’ils sont de plus en plus néandertaliens, de plus en plus éloignés de l’homme moderne à mesure que s’écoule le temps.
Notre planète a donc porté, pendant des temps peut-être dix ou vingt fois plus longs que notre souvenir historique, deux espèces humaines différentes dont une a disparu, ne laissant que des fossiles et l’attestation éternelle de ses croyances.
Encore ce tableau ne donne-t-il qu’un pressentiment de la complication de ce qui s’est réellement passé avant que l’espèce survivante, la nôtre, ait inventé l’écriture, et du même coup l’histoire.
Ayons la même prudence que le Pr Grassé, celle de ne tirer de ces mystères du temps dont un coin à peine commence à se lever, aucune élucubration simpliste. Ces élucubrations, héritage frelaté du XIXe siècle, étaient basées sur une vision mécaniciste de l’univers. Elles s’effondrent, nous laissant devant une seule certitude: à savoir que la Loi inconnue qui gouverne le monde a longuement élaboré l’homme, par des voies complexes et que l’on découvre peu à peu.■
Aimé Michel
Notes:
(1) Thomas E. Bearden, étude non publiée. Centre de Documentation du Département de la Défense des États-Unis, janvier 1977 (How to develop a Hyperchannel Brain linkage System).
(2) Pr P.P. Grassé: Précis de Zoologie des vertébrés. Reproduction, biologie, évolution et systématique, vol. Il et III, Masson, 1977.