Chronique Scientifique
Les laboratoires battus par les colliers magiques
Fiction n°65 – Avril 1959
L’idée ennuyeuse et auguste d’une Science progressant logiquement grâce à la mise en œuvre de programmes établis à l’avance ne traîne plus guère, à l’heure actuelle, que dans de vétustes manuels de baccalauréat, ou dans ces cervelles infécondes qui voudraient nous faire prendre le scientisme modèle Auguste Comte pour de la Science. Il suffit de parcourir avec un peu d’attention les comptes rendus de recherches, même les plus austères, pour y découvrir une sorte d’hyper-espace de la recherche scientifique où les savants les plus officiels ne craignent pas, à l’occasion, de s’aventurer, sans pour cela abdiquer le moins du monde la rigueur de leurs méthodes.
En voici un exemple.
Il existe une petite publication, très confidentielle et très technique, éditée par quatre professeurs à l’Université de Bâle: A. Blihler, R. Geigy, A. Gigon et R. Tschudi, et qui a nom Acta Tropica, avec ce sous-titre: Revue des Sciences Tropicales et de Médecine Tropicale. Que les publications habituelles d’Acta Tropica n’aient qu’un rapport lointain avec la science-fiction, on s’en doute. Mais dans le volume 10, Numéro 1 de la collection, nous trouvons ce titre: «De l’action protectrice des colliers dans la Malaria Aviaire», par Pierre Baranger, professeur de chimie à l’École polytechnique, et M. M. K. Filer, Finedon Hall Laboratories, Northants, Angleterre, «C’est, nous rappellent les auteurs, une des coutumes les plus répandues chez les indigènes d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, etc., que de porter des colliers, des anneaux à la cheville ou au poignet, des boucles d’oreilles, etc., pour se protéger des maladies. Ces anneaux sont généralement en or, en argent, en cuivre ou en fer, certains sont bi ou trimétalliques… Dans beaucoup de campagnes d’Europe on trouve des coutumes analogues encore vivantes.
«C’est aussi une attitude des plus répandues que de traiter de superstitions ces pratiques mystérieuses, qui semblent cependant se recommander d’une expérience multiséculaire.
«Nous apportons ici les premiers résultats de recherches faites en vue de vérifier si le port d’un collier peut influencer l’évolution de la malaria aviaire expérimentale.»
Voici donc deux savants, dont l’un, le professeur Baranger, est bien connu pour ses travaux sur la chimiothérapie du cancer, de la malaria, de la lèpre et de bien d’autres maladies, qui se proposent d’étudier les vertus curatives des colliers magiques (ou que l’on dit magiques).
Comment vont-ils s’y prendre? Résumons leurs travaux, publiés en deux fois par Acta Tropica.
Dans une première série d’expériences, ils ont fait porter leurs essais sur deux formes de la malaria aviaire en infectant par injection des poulets âgés de 6 jours. Pour la première forme, on compte les parasites sanguins le 5eme jour après l’infection, ainsi que la survie moyenne. Pour la deuxième forme, on compte les animaux indemnes de parasites sanguins les 16eme, 23eme et 30eme jours, le nombre d’animaux vivants le 30eme jour, ainsi que la survie moyenne après le jour d’infection.
D’autre part, deux jours avant l’infection, on a muni certains poulets d’un collier de 1 millimètre de section et de 2 centimètres de diamètre. Les métaux suivants ont été essayés: or, argent, cuivre, fer, étain, zinc, aluminium, nickel, plomb, magnésiian, manganèse, molybdène, alliage nichrome, alliage de laiton, alliage de maillechort. Des colliers textiles ont également été expérimentés: laine, coton, lin, nylon, soie, rayonne, sisal.
Nombre d’animaux utilisés dans cette première expérience: 350. Animaux témoins non munis de collier: 13. Animaux témoins non munis de collier, mais traités à la chloroquine: 6; à la quinine: 6.
Les résultats sont surprenants.
Pour la première forme de la malaria (forme exo-erythrocytique), la suivie en moyenne est de 11 jours chez les poulets non traités (ni collier, ni chloroquine, ni quinine). Elle est de 24 jours chez les poulets traités à la chloroquine (qui est donc un remède efficace) et de 30 jours chez les poulets traités à la quinine (un peu plus efficace).
Mais cette même survie moyenne est de 20 jours sur un des deux lots de poulets munis d’un collier en or (au lieu de 11!) et elle atteint presque 30 jours sur le deuxième lot!
Le cuivre est presque aussi efficace: survies moyennes de 22,5, de 26, de 26,5, de 27,4, de 27,4 encore, et de 28 jours dans les différents lots (rappelons que les poulets sans collier meurent en moyenne le 11eme jour, et les poulets traités à la chloroquine le 24eme). Le cuivre est donc en moyenne plus efficace que la chloroquine, une des deux armes de notre pharmacopée scientifique.
Quant aux formes érytmocytiques, elles donnent des résultats encore plus scandaleux, puisque la quinine elle-même y est battue par les colliers d’or et de cuivre.
En revanche, les colliers textiles sont pratiquement sans effet, ainsi que l’aluminium, la nichrome, le magnésium, le manganèse, le plomb, etc.
Les expérimentateurs ont noté que la forme du collier est sans effet; que si un animal perd son collier, la parasitémie augmente dès le lendemain; et qu’enfin le métal gainé de caoutchouc ou de vernis est aussi actif que le métal nu!
Les même expériences ayant été refaites avec des résultats équivalents pour le sarcome de Rous, nos auteurs ont voulu préciser mathématiquement l’action des métaux sur la malaria aviaire en fonction des divers facteurs quantitatifs entrant en jeu. Ils ont donc tout repris à zéro en utilisant seulement l’or et le cuivre, reconnus les plus actifs, et un nombre d’animaux atteignant le millier.
Ils ont obtenu une confirmation totale des premiers résultats, mais cette fois avec des chiffres et des courbes montrant:
1° que l’action du métal est constante, comme obéissant à une loi précise;
2° qu’il existe une masse optimum du collier pour laquelle l’efficacité atteint son plus haut degré;
3° que l’activité protectrice dépend uniquement de cette masse. N’interviennent ni la forme du collier ni sa position sur l’animal;
4° que le contact du métal avec le corps de l’animal n’est pas nécessaire, mais seulement sa proximité; ce qui élimine l’hypothèse d’une action par traces infinitésimales du métal!
Tout cela se trouve également dans Acta Tropica, volume 14, Numéro 4.
Conclusion: les colliers magiques préservent les poulets de la malaria plus efficacement que tous les médicaments connus, à condition d’être en or ou en cuivre fin…
J’ai demandé au Professeur Baranger comment il expliquait cette humiliante découverte. Il éclata de rire:
— Expliquer? Je m’en garderai bien. Je suis un expérimentateur, et je vous livre ces expériences. Comprenez-les comme vous voudrez. Pour ma part, je n’aperçois aucune corrélation entre les propriétés physico-chimiques du cuivre et de l’or et leur activité protectrice. Cela fait partie de ces phénomènes «qu’on expliquera plus tard»… Peut-être…■
Aimé Michel