Le secret des francs-maçons
Article paru dans Planète N°19 (Le Journal de Planète) de novembre / décembre 1964
Notre ami Jean Palou, professeur à la Sorbonne, vient de publier «La franc-maçonnerie» (Payot). Un livre de plus sur la franc-maçonnerie, certes, mais celui-là n’est pas comme les autres. Pour la première fois, la nature véritable du secret maçonnique s’y laisse entrevoir. Et, du même coup, la naïveté ou la mauvaise foi de ceux qui, dans le passé, ont pu prétendre dévoiler ou révéler ce secret.
Essayons de résumer les impressions qui se dégagent de cet ouvrage prodigieusement documenté et médité de l’intérieur.
UNE ÉDUCATION DE L’ESPRIT
Le secret maçonnique n’est pas quelque chose que l’on peut ou que l’on pourrait intégralement exprimer noir sur blanc et clairement, à la façon d’un mot de passe ou d’une formule algébrique. Il résulte, non point de la discrétion jurée par les maçons (puisque aussi bien la franc-maçonnerie, société secrète, fait des émissions à la radio, publie des revues et s’inscrit au Bottin comme vous et moi), mais bien d’une initiation longue et progressive dispensée de haut en bas à travers la pyramide des degrés. Il n’est pas (ou, peut-être, pas essentiellement) une connaissance qu’un maçon défroqué pourrait livrer dans un texte, mais une éducation de l’esprit à un certain usage de lui-même, éducation qui ne peut s’acquérir que lentement, par une espèce d’illumination progressive trouvant son expression non pas seulement dans certaines paroles prononcées, mais dans le rituel infiniment complexe légué par l’Histoire. «Le maçon, me disait Jean Palou, se sent peu à peu transformé en profondeur. Celui-là même qui adhère dans un but intéressé ou frivole n’échappe pas à la transformation.»
L’idée d’une initiation qui serait une espèce de confidence faite de bouche à oreille à l’occasion d’une liturgie grandguignolesque apparaît comme une simple puérilité. L’initiation maçonnique ressemblerait plutôt à celle qui permet aux jardiniers anglais d’obtenir les plus belles pelouses du monde: il suffit, si l’on ose dire, de ratisser pendant mille ans. Ou à celle du Kendo, l’escrime sacrée des Japonais, qui doit se pratiquer avec des lames formées de dix-sept mille couches de métal et forgées à deux cent mille coups de marteau. Elle se ferait par un véritable bain spirituel dans la tradition de la société, à la faveur des tenues de loge et, peut-être, des cérémonies symboliques.
UN SECRET VÉCU
Et dès lors apparaissent, au moins en principe, le sens et la justification de tous ces grades étranges, titres et degrés dont les mystérieuses résonances évoquent des traditions médiévales ou antiques: Sublime chevalier élu, Chevalier Royale-Hache, Prince du Tabernacle, etc. Le livre de Jean Palou en constitue la première tentative d’élucidation. Et il semble qu’avec les chapitres fondamentaux qu’il leur consacre on soit au cœur même du mystère maçonnique: le secret de la franc-maçonnerie serait vécu plus ou moins intégralement aux divers degrés, les derniers de ceux-ci assurant la permanence de sa tradition.
UN VASE VIDE?
Reste à savoir ce qu’est ce secret ultime qu’aucune définition ne saurait peut-être enserrer. Pour le non-initié, cette question équivaut à se demander si le secret existe, s’il a une substance, ou bien si la grande habileté historique de la franc-maçonnerie serait en définitive de n’avoir rien à cacher, d’être ce vase vide dont Renan parlait à propos d’une autre grande source spirituelle, hypothèse sceptique qui concorde mal avec la persévérance et l’efficacité de l’action maçonnique depuis les deux ou trois siècles que ses traces sont visibles. Rappelons que les anciens rose-croix, qui sont une des sources probables (soulignée par Palou) de la franc-maçonnerie moderne, détenaient des connaissances inexplicables par la science de leur temps et qu’eux-mêmes, au témoignage de Cyrano de Bergerac, disaient tenir de sources extra-terrestres…■
Aimé Michel