L’auteur biblique à polytechnique

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L’auteur biblique à polytechnique

Chronique parue dans France Catholique − N° 1825 – 4 décembre 1981

 

Aimé Michel poursuit ici, à l’instigation de nombreux lecteurs qui lui ont écrit, ses réflexions sur les origines de l’homme considérées du point de vue scientifique (voir FcE du 20 novembre).

Un regard sur l’homme historique, puis sur son immense passé qui s’inscrit dans celui de la vie, constate une évolution (à ne pas confondre avec les théories évolutionnistes), c’est-à-dire un ordre de la Création déployée dans le temps.

Quand l’homme invente l’écriture et sort ainsi tout soudain de la préhistoire, il y a cinq ou six mille ans, il est exactement tel que vous et moi. Naturellement par son corps mais aussi son âme, dont les plus anciennes œuvres (Épopée de Gilgamesh ou textes des Pyramides) expriment déjà l’angoisse de la mort, la quête de l’amour et de l’amitié, les rêves de puissance.

L’homme historique n’a pas changé. Certes, mille cultures se sont succédé mais mille cultures coexistent aussi à notre époque dont certaines, sans écriture, sont encore des cultures préhistoriques. Ainsi semblons-nous fondés à répéter avec l’Ecclésiaste: «Rien de nouveau sous le soleil.»

L’histoire humaine: mot qui termine mille pages

Bien sûr, il y a des nouveautés. Du temps de Gilgamesh et de l’Ecclésiaste, il n’y avait pas la télévision, on ne se promenait pas sur la lune, merveilles qui eussent passé pour magie. Mais l’auteur de Gilgamesh, éduqué comme nos enfants, aurait été comme eux capable de faire Polytechnique et d’aller sur la lune. L’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, Ramanujan, était fils d’Indiens illettrés menant une vie antique. L’un des derniers prix Nobel de Physique, Abdus Salam est un Pakistanais. Archimède, Thalès, Ératosthène, vivant de nos jour, auraient rivalisé avec Einstein, Bohr, Louis de Broglie. L’homme, depuis le temps où il apprit à fixer ses pensées pour les siècles à venir, est comme une brique immuable servant à construire des architectures variées, de plus en plus colossales qui, parfois, s’effondrent. Ainsi du moins nous semble-t-il.

Car avant l’histoire, c’est-à-dire avant l’écriture, il y a les traces. Traces du corps: les fossiles. Traces de l’esprit: les objets fabriqués par la main. D’autres traces encore, plus subtiles, plus troublantes, permettent parfois de ressusciter un geste qui n’a duré que quelques secondes, il y a des centaines de milliers d’années. Nous voilà engagés dans un passé immense, celui de nos origines, celui de la vie.

Rappelons-nous ici le calcul frappant du «Livre de la Vie»: supposons que nous racontions l’histoire de la vie depuis son commencement dans un livre de mille pages, chaque page rapportant une durée égale; la vie étant apparue il y a presque quatre milliards d’années, chaque page racontera quatre millions d’années; l’histoire toute entière remplira le millième de la dernière page, disons au plus un mot, le dernier. Voilà la durée de notre souvenir historique comparée à celle de notre passé réel, raconté en un livre de mille pages: le dernier mot de la dernière page.

Nous sommes comme la rose de Fontenelle: «De mémoire de rose, jamais on ne vit mourir un jardinier.» L’espèce humaine, comme le jardinier, nous semble immuable. C’est que nous sommes trop éphémères pour la voir changer.

Le temps patient qui détruit tout jette ses déchets comme nous faisons des nôtres: ils s’empilent dans l’ordre, les plus récents dessus, les plus anciens au fond.

Ainsi, pour remonter le cours du temps, il suffit de repérer les endroits où tout est resté dans l’ordre et de creuser la terre. Nous retrouvons notre passé, mais à l’envers. C’est le livre de mille pages que nous déchiffrons en commençant par le dernier mot de la dernière page, reculant de mot en mot en remontant de ligne en ligne. Un passé de plus en plus lointain se découvre à mesure que notre fouille s’enfonce.

Le passé retrouvé à l’envers

Ce passé n’est pas, comme on pourrait le croire, rare, épars, noyé dans une terre ou une roche sans signification. Non, toute cette terre et toute cette roche sont le passé et ne sont que lui, jusqu’au niveau primitif antérieur à toute vie. Au-dessus de ce niveau-là, nos plaines, nos montagnes, les falaises de Douvres, les Alpes, l’Himalaya, le Sahara, tout n’est que vestige de vie plus ou moins broyé, comprimé, déformé, «métamorphosé» par le temps, comme disent les géologues. Seuls ne sont pas vestiges de vie les volcans et leurs laves. C’est dans ce formidable cimetière qu’il faut chercher notre ascendance quand sa forme y a subsisté: nos fossiles.

Un ordre dans la Création

L’observation la plus frappante que font les géologues et les paléontologistes, parce qu’elle est universelle sans la moindre exception, c’est que l’ordre de superposition est aussi un ordre logique. De même qu’on ne trouvera jamais une 2 CV Citroën ensevelie sous les cendres de Pompéi, ni Andromaque de Racine dans les papyrus d’une momie, de la même façon, les fossiles sont superposés selon l’ordre auquel on a donné le nom d’évolution.

Cet ordre chronologique c’est celui-là même auquel on aboutit quand on classe tous les êtres vivants de façon logique, sans aucun souci de chronologie. C’est-à-dire que le mot «primitif», employé dans le sens de «simple» quand on classe les êtres actuels selon la logique, s’applique aussi à ce qui est plus «ancien»: on trouve le plus «primitif» à mesure qu’on met à jour le plus profond, c’est-à-dire le plus ancien. Ou encore, autrement dit: quand on considère les êtres actuellement vivants, on constate que, par exemple, un escargot est plus simple qu’un cheval; et quand on fouille, on constate aussi que la forme «escargot» est apparue des centaines de millions d’années avant la forme «cheval».

C’est cet ordre dans l’apparition des êtres, ordre chronologique rigoureux, d’une merveilleuse clarté, qu’on appelle «évolution», et non pas, ainsi que beaucoup le croient, les théories comme le darwinisme ou autres qui ont essayé, mais jusqu’ici en vain, de l’expliquer. Ce qui trompe, c’est la confusion entre «évolution» et «évolutionnisme». Il faudrait écrire toujours «évolutionnismes» au pluriel, car il y a autant d’évolutionnismes que de théoriciens. L’évolution est un fait d’observation: c’est l’ordre de la création, de quelque façon qu’on explique cette création. Cet ordre suit exactement la même logique que l’apparition des modèles d’automobiles depuis les premières Panhard et Levassor ou que l’apparition des divers types d’ordinateurs et, d’une façon générale, que la succession de toute série d’objets dont l’organisation devient de plus en plus complexe.

Cette logique que l’on constate n’implique en aucune façon que l’on comprend ce qui se passe ni comment cela se passe. Certains savants, surtout en biologie moléculaire et en cytologie (étude des cellules), pensent que l’évolution est continue, imperceptible mais ininterrompue. Beaucoup de paléontologistes, dont la science est l’étude des fossiles, estiment, au contraire, que les êtres se reproduisent plus ou moins longtemps sans beaucoup évoluer puisque les changements surviennent tout d’un coup ou très vite. Les premiers invoquent les mécanismes possibles selon eux: ils sont (sur ce problème) plus théoriciens. Les seconds lisent l’évolution qu’ils trouvent en fouillant: ils invoquent les faits et veulent s’y tenir, du moins les plus prudents.

Où l’on observe l’apparition de l’homme

C’est dans ce cadre ordonné, mais aux lois inconnues, que l’on observe l’apparition de l’homme. Dans le Livre de la vie, où une page, vaut quatre millions d’années, la lignée humaine occupe au moins toute la dernière page. Mais peut-être beaucoup plus. Le mystère de l’homme prend ses racines à un niveau très profond, c’est-à-dire très ancien. Et son évolution, comme on le verra, ne ressemble à aucune autre.■

Aimé Michel

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