La théorie du capitaine Jean Plantier
Article paru dans Satellite n°31, février 1960
En un sens, la théorie du capitaine Jean Plantier sur la propulsion des Soucoupes Volantes peut être considérée comme un authentique produit de la fiction scientifique: de quelques propositions simples dont le caractère hypothétique est souligné par l’auteur lui-même, Plantier a déduit une suite logique de conséquences qui constituent une explication totale des mystérieux engins. Il ne se prononce ni sur l’existence réelle des Soucoupes Volantes, ni sur la vérité de ses hypothèses fondamentales. Les unes et les autres peuvent être fictives: la théorie qui en découle n’en est pas moins rigoureuse.
Deux hypothèses simples
Pour bien mesurer l’efficacité de cette théorie, je crois que la meilleure méthode est de l’exposer puis d’en confronter les résultats avec l’observation.
Nous examinerons donc successivement les hypothèses fondamentales de Plantier et l’usage qu’il en fait.
Hypothèse N° 1. – «Il existe un moyen d’appliquer à chacun des noyaux atomiques d’une masse donnée (n’importe quelle masse, disons, un caillou, par exemple), une force proportionnelle à sa masse, orientable et modérable à merci.»
Cette hypothèse est facile à comprendre. Si j’applique au caillou une force mécanique quelconque (si je le pousse), cette force sera appliquée seulement en un point de la surface du caillou. C’est seulement grâce à sa rigidité que le caillou dans son ensemble suivra le mouvement imposé à une partie de sa surface extérieure. Si, au lieu d’un caillou, je pousse brutalement un vase plein d’eau, le liquide ne suivra pas le mouvement du vase et se répandra en franchissant les bords.
Cela compris, que suppose Plantier? Qu’il existe un moyen de pousser le caillou (ou le seau) tel que la force qui le pousse soit appliquée, non pas à un point de la surface externe, mais bien à chacun des noyaux atomiques qui constituent le caillou, ou le seau (et son contenu). La différence sera insensible pour le caillou. Mais pour le seau d’eau, il est évident que si je pousse chacun des noyaux d’oxygène et d’hydrogène qui constituent l’eau exactement de la même façon que je pousse les noyaux de fer du seau lui-même, on ne verra plus l’eau tendre à rester sur place, c’est-à-dire franchir les bords du seau. L’eau se déplacera exactement en même temps que le seau, sans aucun agitation relative.
Mais, dira-t-on, c’est impossible! Comment appliquer une force à chaque noyau pris séparément? Il n’existe pas dans la nature de phénomène qui nous permette d’imaginer une telle absurdité!
Pardon, répond Plantier. Ce phénomène existe, et sous nos yeux. Il est même le plus familier des phénomènes naturels: c’est la pesanteur. La preuve: si je prends le seau par son anse et si, l’ayant tendu à bout de bras par la fenêtre, je le lâche, tout se mettra à descendre également, seau et contenu, à une vitesse v = gt. On ne verra pas l’eau rester sur place et le seau dévaler les étages, comme dans le cas d’une force mécanique appliquée à une surface. Pourquoi? Parce que la force g est appliquée à toutes les particules douées de masse, proportionnellement à cette masse.
Seulement, la pesanteur est une force d’une parfaite monotonie (ce qui permet la mécanique céleste). On n’a, jusqu’ici, trouvé aucun moyen d’agir sur elle, de la manipuler, d’en changer le sens, la direction, l’intensité. Plantier suppose tout simplement qu’il existe un moyen de manipuler cette force jusqu’ici rebelle. Il suppose résolu le problème de la gravitation artificielle. Et lui reprocher de croire qu’on y parviendra un jour, c’est dire aux innombrables chercheurs qui, un peu partout dans le monde, peinent sur ce problème: «Vous êtes des rêveurs – vous n’arriverez jamais à reproduire en laboratoire ce que la nature fait depuis le commencement du monde.» Est-ce raisonnable? Voire.
Hypothèse N° 2. – «Il existe une énergie de l’espace généralement stable, donc imperceptible par définition, mais capable dans certains cas de donner naissance à des particules matérielles. Cette stabilité est alors rompue, et la particule matérielle se trouve accélérée en même temps que «créée».
Autrement dit, l’espace sidéral serait rempli (ou peut-être constitué) par une énergie en équilibre stable; à certains moments, et en certains points, pour des raisons inconnues, l’équilibre serait rompu, et une particule matérielle apparaîtrait, particule qui se trouverait aussitôt soumise à une force née du déséquilibre, et donc accélérée jusqu’à disparition de cette force. On retomberait à ce moment en équilibre stable, mais il y aurait dans l’univers une particule de plus, douée d’une certaine vitesse. La rupture initiale de l’équilibre se traduirait donc finalement par l’apparition d’une quantité d’énergie cinétique c = mv2, m et v étant respectivement la masse et la vitesse de la particule nouvelle.
Plantier, on s’en doute, pense aux particules cosmiques. Et il faut reconnaître que les derniers travaux exécutés aux États-Unis par Bruno Rossi et son école, en réfutant toutes les explications admises jusqu’ici des particules cosmiques, plaident en faveur d’une hypothèse nouvelle, peut-être aussi révolutionnaire que celle de Plantier. Le commandant Lenoir, lui, pense que la deuxième hypothèse de Plantier recouperait également celle de Fred Hoyle et de l’école de Cambridge (création continue de noyaux d’hydrogène).
Les conséquences – Si l’on suppose accordées les deux hypothèses ci-dessus, à quoi aboutit-on? À ceci:
1) Il existe en tout point de l’espace une source potentielle d’énergie apparemment inépuisable, et qui peut se transformer en énergie cinétique.
2) On peut tirer de cette énergie une force applicable à toute particule d’une masse quelconque, dans le sens, la direction, et avec l’intensité que l’on voudra.
On voit immédiatement que, s’il en est ainsi, la navigation spatiale devient un jeu d’enfant, puisque l’astronef trouve dans l’espace même l’énergie nécessaire à sa propulsion.
Mais ce n’est pas tout. L’astronef, on l’a compris, se déplace en créant un champ gravitationnel artificiel dans le sens et la direction choisis par ses pilotes. Passons sur les objections (les champs gravitationnels sont symétriques, etc.): il est aussi vain de les soulever que de les réfuter, puisqu’en fait de gravitation notre science se limite pour l’instant à la seule observation des champs naturels. Admettons ce que nous demande Plantier: l’astronef peut créer un champ dans lequel il tombe. Qu’allons-nous observer dans les parages d’un tel engin? Très exactement, et dans tous les détails, ce que les témoins décrivent dans les observations de Soucoupes Volantes. La concordance est d’autant plus stupéfiante que quand Plantier imagina sa théorie, il ignorait jusqu’au nom de Soucoupe Volante. Il ne se souciait que d’imaginer, dans l’ennui d’un hôpital militaire, les grands traits d’un engin de vol idéal, l’engin de l’avenir en quelque sorte, et n’attribuait à ses réflexions d’autre valeur que celle d’une rêverie anticipatrice. Aussi conçoit-on son émotion quand il commença à lire dans les journaux la description rigoureuse de son engin et des phénomènes observés dans son environnement – voyons dans le détail.
1) Forme de l’engin Plantier. Le champ gravitationnel est notamment défini, on le sait, par la loi de l’inverse des carrés des distances: le champ étant maximum en un lieu, son intensité diminuera avec le carré de la distance à ce lieu. Pour être équilibré par rapport à un champ de cette sorte, l’engin devra donc être symétrique par rapport à un axe (celui de la ligne de force la plus intense), il sera donc, soit cylindrique, soit lenticulaire. Nous voici d’emblée en possession des deux engins du folklore soucoupiste, la Soucoupe et le Cigare!
2) La trombe d’air ascendant. Supposons l’engin Plantier en stationnement à quelques mètres du sol. Il se maintient en équilibre en créant un champ de pesanteur égal et de sens contraire au champ terrestre du lieu (à l’effet archimédien près). Mais l’air ambiant est lui aussi pris dans le champ artificiel, il va donc se produire, par poussée archimédienne, une colonne d’air ascendante. On verra les poussières et les feuilles mortes monter du sol en tourbillonnant. Si l’engin démarre verticalement à vive allure, c’est une véritable trombe verticale que l’on observera.
Or, tout cela a bien été vu par les témoins de Soucoupes Volantes. Voici par exemple le récit de M. Jean Boyer au Beylon-de-Montmaur, Hautes-Alpes, le 28 octobre 1958 (observation faite près d’Aspres-en-Buech): «Tout à coup, l’engin s’élève à une vitesse vertigineuse. En même temps, je ressentis les effets d’un déplacement d’air qui secoua également ma fourgonnette.
» On aurait dit que l’engin avait été brutalement aspiré.
» Dans un autre cas, l’eau d’un bassin fut elle aussi aspirée au moment du départ. À Poncey-sur-l’Ignon, en 1954, le sol lui-même fut comme sucé. Ce «trou impossible» fut contemplé avec stupeur par la maréchaussée, la gendarmerie de l’air et de nombreux enquêteurs».
3) Le cumulus agité. L’engin Plantier est immobile vers 1’000 et 1’500 mètres par un après-midi d’été clair, mais assez chargé de vapeur d’eau. Inévitablement, la colonne d’air ascendante va donner un petit cumulus blanc, soit au-dessus, soit même autour de l’engin. À quoi penseraient des témoins inventant quelque chose d’aussi dénué (apparemment) de signification? Eh bien, d’innombrables témoins ont vu ce cumulus agité, pétri par la trombe verticale de l’ascendance. Il a encore été décrit avec forces détails il y a quelques mois, associé à l’inévitable Soucoupe, par des missionnaires et des indigènes de Nouvelle-Guinée.
4) Le grand cumulus vertical. Quand plusieurs engins Plantier stationnent ou se déplacent de conserve, le calcul montre qu’ils ont intérêt à s’empiler les uns sur les autres à l’arrêt. En déplacement, la pile de Soucoupes doit s’incliner dans le sens de la marche, d’autant plus que la vitesse augmente. Dans les deux cas, l’ascendance atmosphérique est formidable, et le cumulus prend les dimensions et la forme d’un énorme cigare de nuées. Ce phénomène fantastique a été observé des centaines de fois. Le 14 septembre 1954, à Saint-Prouhant (Vendée), des centaines de témoins virent tout le déroulement de la scène, arrivée du «cigare» fortement incliné, arrêt avec mise à la verticale, ballet de deux «soucoupes» autour du cigare, puis de nouveau inclinaison et départ!
Arrêtons là l’énumération. L’hypothèse d’engins fonctionnant par manipulation du champ gravitationnel entraîne des dizaines de conséquences physiques minutieusement décrites par Plantier avant toute référence aux Soucoupes Volantes. Ces conséquences, disons plus précisément ces effets, n’ont aucun sens pour le spectateur non averti. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir l’étonnement mêlé de crainte qui transpire dans les récits des paysans de Saint-Prouhant ou de Poncey, ou des sauvages de Nouvelle-Guinée. Or, tous ces effets prédits par Plantier ont été observés par la suite. Ils recouvrent exactement le phénomène soucoupe, ils sont ce phénomène lui-même dans toute sa mystérieuse complication. La propagation silencieuse aux vitesses transsoniques, la résistance à réchauffement provoqué par ces vitesses, les virages à angle droit ou aigu sans ralentissement, l’indifférence apparente de pilotes aux accélérations les plus insensées, tout cela a été décrit par Plantier, puis par des témoins innombrables qui ignoraient et ignorent encore la théorie du capitaine aviateur.
Que tous ces témoins soient des menteurs, y compris les appareils photographiques et les radars; que le capitaine Jean Plantier soit un rêveur et qu’il n’y ait dans tout cela qu’une mystification à l’échelle planétaire, soit, mais il reste ceci: cette mystification à laquelle ont collaboré des centaines de millions d’ignorants et de fous obéit à des lois strictes qu’un jeune officier d’aviation avait conçues de A à Z sur un lit d’hôpital. J’attends qu’on m’explique une si merveilleuse coïncidence.■
Aimé Michel
Bibliographie
Capitaine Jean Plantier:
— Forces aériennes françaises, sept. 1953, page 219.
— La propulsion des soucoupes volantes par action directe sur l’atome, Marne, 1955.
Aimé Michel:
— Mystérieux objets célestes, Arthaud, 1958.