La plus vieille religion d’Europe?
Article paru dans Planète N°9 de mars / avril 1963
Est-il bien sûr que les anciens dieux fussent finis?
Qu’ils aient donné leur démission?
Que le christianisme n’ait eu qu’à souffler
sur ces vaines ombres?
(MICHELET, la sorcière)
NOUVELLES QUESTIONS SUR LES DOLMENS
Qui de nous n’a un jour rêvé d’aller explorer l’île de Pâques? Contempler dans le regard des colosses de pierre le mystère d’un temps qui nous dépassa peut-être par sa puissance technique et ses connaissances spirituelles[1], tenter de retrouver les secrets qui manquent à l’équilibre de notre culture, c’est bien là, en effet, un rêve prometteur[2].
Faut-il aller si loin? Ce n’est pas sûr. Nous avons sous la main, en Bretagne, de quoi faire autant rêver. Les dolmens et les menhirs sont plus énormes que les statues des anciens Pascuans, plus anciens, plus nombreux et encore plus mystérieux. Pourquoi les avons-nous si souvent regardés sans les voir? Peut-être parce que le folklore nous agace. Peut-être aussi, plus obscurément, parce que nous les portons en quelque sorte en nous-mêmes sans le savoir. Comme disait Valéry, «ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes».
Quand je suis arrivé à Locmariaquer, c’était septembre, et le crépuscule. La tête pleine d’un savoir livresque, je voulus voir tout de suite un mégalithe et poussai jusqu’aux Pierres-Plates, à l’entrée du golfe. Entre plage et lande, la route s’arrête sur un bref terre-plein battu par la marée. Je descendis de voiture et ne vis vers la droite, dans la pénombre, qu’une sorte de talus aux formes confuses, mangé par les ronces: «Domaine des Pierres-Plates. Propriété de l’État».
QUI ÉTAIENT CES HOMMES?
Dans ce désert secoué par le bruit du ressac, des papiers gras voletaient et deux rats rongeaient les reliefs abandonnés par des touristes saucissonneurs. Une odeur d’urine me saisit tandis que, chandelle en main et courbé, je pénétrai dans l’allée de pierre couverte. À ce moment, mes souvenirs de lecture s’évanouirent. Les classements archéologiques, les chronologies, les hypothèses, les discussions, les arguments de Glyn Daniel et ceux de Gordon Childe, les explications de Le Rouzic et celles de Giot, les amicales discussions avec Varagnac[3], tout cela s’éteignit sous le froid des dalles. Ma chandelle aussi. Rien n’est puissant, rien n’est vivant comme le silence des pierres. Les hommes qui avaient construit cette cave démente étaient là. J’entendais leurs cris, leurs prières, leurs chants, les ordres des chefs, une rumeur aussi étrange que si elle fût venue de Mars, mêlée au souffle de la mer et au grignotement des rats. Qui étaient-ils, ces hommes engloutis sous tant de siècles? À quels mobiles avaient-ils obéi en amoncelant ces blocs? Quelle présomption d’essayer de savoir, quelle folie de croire en quelques traités trop clairs, bourrés d’une science qui n’était pas la leur!

(Hauteur: 5 mètres.)
Première question devant un mégalithe: comment l’a-t-on érigé? Le grand menhir de Locmariaquer pèse trois cent cinquante mille kilos, cent tonnes de plus que l’obélisque de la Concorde. C’est le plus énorme bloc de pierre jamais manipulé par les hommes. Il a été taillé, dégrossi, transporté jusque sur sa butte, et dressé. Vingt et un mètres: la hauteur d’une maison de sept étages. Il gît maintenant sur le sol, brisé en quatre d’une façon étrange. Ces quatre morceaux ne se sont pas abattus d’un bloc, comme ce serait le cas s’il s’était rompu en tombant. Ses architectes l’auraient-ils brisé pour le transporter plus facilement, superposant ensuite les éléments? Non: en examinant les lèvres des cassures, on voit qu’elles sont postérieures au travail des constructeurs. On a même pu, sinon dater, du moins situer le moment de la chute. Du mobilier gallo-romain a été découvert sous les blocs.
De quelle carrière vient cette masse? La question est d’importance: elle pose le problème du transport.
«Le plus souvent, écrit le professeur Giot[4], une roche sur place ou à proximité immédiate fut utilisée, et le transport dans ce cas a été très court, quoique de toute manière un tour de force.»
À Locmariaquer, les géologues ont trouvé des roches identiques à celle du menhir dans les environs immédiats. Mais j’ai fait une curieuse expérience. J’ai demandé à plusieurs paysans du village s’ils savaient où l’on trouve la roche en question. – Pas dans le pays, m’ont-ils répondu. Mais il y en a près de Pontivy.
À qui se fier? Aux paysans ou aux géologues? Il y a bien un gisement sur place, les géologues ont raison. Mais, comme me le faisait remarquer Louis Le Cunff, les constructeurs de mégalithes étaient-ils géologues ou paysans?
– Il faut choisir. Ou bien vous accordez à ces hommes d’il y a 5 ou 6’000 ans une science géologique que les paysans ont perdue, ou bien vous leur faites crédit d’une technique capable de transporter des blocs de centaines de tonnes sur des dizaines de kilomètres.
Le bon sens opterait sans hésitation pour la géologie si d’autres exemples ne venaient le troubler. Dans la plaine de Salisbury, en Angleterre, se dressent les fameuses ruines circulaires de Stonenenge, Parthénon de cette singulière civilisation des mégalithes. Les pierres en ont été soigneusement étudiées par les géologues. Voici leur verdict: les blocs de quarante tonnes viennent, au plus près, des collines de Marlborough, à quarante kilomètres de là en ligne droite. Quant aux blocs de pierre bleue, pesant quatre tonnes, leur plus proche gisement possible se trouve dans le comté de Pembroke, à quatre cents kilomètres de Stonehenge et de l’autre côté d’un bras de mer!
Ici, pas d’échappatoire: ces blocs ont au moins parcouru quarante kilomètres pour les plus lourds et quatre cents pour les moins massifs. Il faut donc attribuer à ces hommes une technique de transport d’une fabuleuse efficacité.
On a parlé de rouleaux. Des troncs d’arbre glissés sous les blocs, et des nuées d’ouvriers le long de routes soigneusement aplanies. C’est en effet là ce que l’on peut envisager. Mais il faut, hélas! convenir, quand on examine des milliers de mégalithes, que cette solution n’est qu’une hypothèse désespérée. Quiconque veut imaginer l’application sur chaque cas concret, comme j’ai tenté de le faire, se heurte à d’inextricables contradictions. Tout d’abord, un corps ne progresse sur rouleaux que si la face inférieure est assez lisse pour permettre la rotation. Il existe des mégalithes dont une ou deux faces sont relativement lisses: la Table des Marchands, le Mané Ruthual. Mais il suffit d’en examiner quelques dizaines pour se convaincre qu’ils sont l’exception. L’impression qu’on retire est que le lissage (et encore, il vaudrait mieux parler de dégrossissage) fut seulement inspiré par des mobiles esthétiques. Enfin, admettons que l’on ait roulé les dalles lisses. Le grand menhir de Locmariaquer est taillé de telle façon qu’il est impossible de lui trouver même l’esquisse d’une face. Sa section médiane a vaguement la forme d’un losange, mais les arêtes tortueuses strient le centre de gravité de l’ensemble à un tel point que, posé au sol, le colossal monolithe tend irrésistiblement à reposer sur une arête. C’est d’ailleurs ainsi que son poids l’a naturellement couché. Alors? L’aurait-on roulé sur une arête? Supposition absurde: aucun bois ne supporterait un tel poids sur une surface aussi restreinte sans se débiter au premier tour de rouleau.
Conscient de ces difficultés, l’archéologue anglais Hope-Taylor a supposé que les blocs pouvaient ne pas reposer directement sur les rouleaux pendant le transport, mais plutôt sur un premier matelas de madriers dont la partie supérieure aurait épousé le relief fantaisiste du bloc, cependant que la face inférieure, lisse, aurait permis la rotation des rouleaux. Hélas! Les dessins de Hope-Taylor supposent le problème résolu: pour construire ce matelas sous le bloc, il faut d’abord le soulever. En outre, Hope-Taylor a imaginé cette douteuse méthode pour les petits blocs de cinquante tonnes de Stonehenge. On ne voit nullement son application au monstre de Locmariaquer, ni au Mané Ruthual, ni au menhir de l’île Melon en Porspoder, ni au Mané Lud, ni aux informes et gigantesques menhirs des alignements d’Erdeven, ni à tant d’autres.
DES TONNES POSÉES EN DOUCEUR
Et d’ailleurs, un détail jamais souligné jusqu’ici, semble-t-il, oblige à penser que les constructeurs de mégalithes possédaient une méthode permettant de manipuler les blocs gigantesques en douceur: il s’agit des pierres de calage des dolmens. Un dolmen est fait d’une ou plusieurs tables posées sur des dalles verticales formant support. Or, très souvent, la table ne repose pas directement sur les supports: une petite pierre, grosse comme un livre de poche, a été délicatement glissée entre les deux blocs pour servir de coussin. Rien n’est fascinant comme l’étude approfondie de ces petites cales. Leur signification technologique s’impose à l’esprit, et cette signification est bouleversante.
La présence des pierres de calage sous les dalles des dolmens signifie donc que ces dalles ont été posées en douceur sur leurs supports. L’hypothèse cent fois exposée qu’elles furent tirées latéralement et à force sur les supports préalablement enterrés explique tout, sauf la présence de ces irréfutables petites pierres. Elles sont là, et rien ne sert d’imaginer des théories qui n’en tiennent pas compte. Au dolmen de Kermané, par exemple, sur deux petites pierres de 15 centimètres de côté et de 7 centimètres d’épaisseur repose tout le côté nord-ouest de la table, qui doit peser environ sept tonnes. Il crève les yeux qu’elles ont été placées là par une main qui les tenait entre le pouce et l’index tandis que la dalle (par quels moyens, grands dieux?) descendait lentement sur son socle. Oui, le silence des pierres est formidable.
COMMENT RÉAGIT UN SPÉCIALISTE
Quelques semaines après mon arrivée en Bretagne, je rencontrai un spécialiste et lui demandai, en prenant garde de ne pas préciser ma pensée, s’il existait une étude systématique de ces petites pierres. Non, pas à sa connaissance. Mon interlocuteur parut d’abord intéressé:
– Une telle étude, dit-il, éclairerait peut-être en effet quelques points techniques obscurs. Il faudrait donner cette idée à un étudiant ayant les moyens de se déplacer, etc.
Tandis qu’il parlait, son visage se tendait. Soudain il me regarda de cet air ironique et soupçonneux que nous connaissons bien, Bergier, Pauwels, moi et quelques autres.
– Dites-moi, que diable voulez-vous prouver avec vos pierres de calage?
– Existent-elles, ou non?
– Sans doute. Mais, à bien y penser, leur disposition montre qu’il a fallu, pour les placer, soulever la dalle et la reposer doucement. Il est donc exclu que les constructeurs des mégalithes y soient pour quelque chose. Ils ne s’y prenaient pas ainsi, et pour cause! Comment auraient-ils pu le faire, avec leurs moyens primitifs?
– Qui donc les a placées là, ces pierres?
– Quelque restaurateur. Le Rouzic, par exemple. Il a dû soulever avec un cric la dalle mal équilibrée et glisser une pierre en croyant bien faire.
– Et dans les dolmens couverts, quand des milliers de tonnes de pierres et de terre pèsent encore sur la table, à Gavrinis, à l’Île-Longue, au Mané er Hroek, à Saint-Michel, à Kercado?
– Prétendriez-vous qu’il y en a là aussi?
– Voulez-vous venir les voir avec moi?
– Monsieur, je n’ai pas de temps à perdre. C’est absurde! Eh oui! C’est absurde et impossible.
Il faut donc détourner les yeux.
Qu’est devenu le secret des mystérieux constructeurs? Des ossements humains ont été découverts ici et là dans les dolmens, à Conguel, à Port-Blanc. Les anthropologues ont eu la surprise d’y reconnaître une race qui subsiste encore largement en Bretagne même, notamment sur le pourtour du golfe du Morbihan et dans le nord-ouest du département. Si le secret s’est perdu, les hommes qui l’ont connu sont encore là, avec leur crâne rond, leur face large, leur petite taille et leur inépuisable énergie. Derrière le corps demeuré intact, l’héritage spirituel a-t-il sombré, recouvert par les millénaires?
Certains indices à la fois touchants et incertains m’avaient donné à penser que la mémoire villageoise bretonne n’était pas moins fidèle que celle de mes Alpes natales[5]. Visitant l’énorme dolmen du Mané Lud sous la conduite d’un enfant de huit ans, fils de fermier, j’eus la surprise de l’entendre m’expliquer que ludu signifiait cendre en breton.
– Mais pourquoi ton dolmen s’appelle-t-il ainsi?
Il n’en savait rien. C’était le nom du dolmen.
Remontant aux sources, je pus constater que le nom de Mané Lud était très ancien, très antérieur en tous cas aux premières fouilles. Et ces fouilles, précisément, avaient révélé sous une dalle inviolée depuis cinq mille ans, l’existence d’un coffre de pierre rempli de cendres. Hasard? Ou bien le souvenir de ce coffre et de son contenu se transmettait-il depuis cinquante siècles dans un nom cinq ou six fois traduit de langue en langue? Un seul fait ne convainc pas. Pour en trouver d’autres, on est amené à étudier les légendes et les coutumes locales. Les coïncidences deviennent vite troublantes.

La Bretagne, on le sait, est le pays des Pardons. Carnac a le sien, sous l’invocation de saint Cornély, protecteur des bovidés. Aux alignements du Menec, les enfants qui guettent le touriste vous racontent ainsi la légende:
– Saint Cornély était pape à Rome. Des soldats païens voulurent l’arrêter, mais il s’échappa en compagnie de deux bœufs qui portaient son bagage et le portaient lui-même quand il était fatigué. Un soir, il arriva au sommet du tumulus Saint-Michel et comprit qu’il était perdu: devant lui s’étendait la mer, et l’armée païenne était sur ses talons. Alors il se cacha dans l’oreille d’un bœuf. Et en même temps les soldats furent transformés en pierres levées: ce sont les alignements. Il accomplit alors de nombreux miracles, fit mûrir l’avoine aussitôt semée et devint le protecteur des bœufs, par reconnaissance. Quand il mourut, on l’enterra dans la montagne de Saint-Michel où l’on construisit une chapelle. Depuis cette date, on célèbre chaque année le Pardon de saint Cornély[6].
Que nous révèle l’analyse de ces légendes? La vie authentique de saint Cornély, pape? Le curé de Carnac lui-même reconnaît bien volontiers que le pape Cornelius, qui régna de l’an 251 à l’an 253, n’a rien de commun avec le saint breton. Prenons les choses à la lettre: Cornély est un être sacré dont le culte est lié à la prospérité de l’élevage. Outre la protection accordée aux bœufs, quelque chose dans sa personne est lié au cycle saisonnier des céréales, à leur semaille et à leur récolte. Peut-être accélère-t-il la germination? Enfin, il est enterré dans le tumulus de Saint-Michel.
UN MORT DE 5’000 ANS
Et maintenant, examinons les positions des mégalithes de la région.
Les alignements de Kermario[7] sont orientés sur le lever du soleil au solstice d’été, c’est-à-dire sur l’azimut de 54° le 21 juin. Ceux de Kerlescan jalonnent sensiblement la ligne des équinoxes. Les levers intermédiaires d’été, le 6 mai et le 8 août, sont donnés par les alignements du Menec, et les levers intermédiaires d’hiver, le 8 novembre et le 4 janvier, par les alignements de Sainte-Barbe et de Saint-Pierre-Quiberon.
Ces monuments ont donc été élevés conformément à des données astronomiques précises, lesquelles à leur tour correspondent à des phénomènes naturels faciles à identifier. Les équinoxes, ce sont les grandes marées. Les solstices d’été et d’hiver voient respectivement chaque année la nuit la plus brève (saint Jean) et la plus longue (Noël). Quant aux levers intermédiaires, ils jalonnent successivement les semailles, la germination, la floraison et la moisson. Mais à quoi servaient ces alignements? «C’étaient, écrit M. Rollando, des monuments religieux où l’on s’assemblait pour célébrer des cérémonies à la date indiquée par l’orientation des pierres.»
Or, premier fait curieux, le Pardon de saint Cornély se déroule à l’équinoxe d’automne. Le saint légendaire cacherait-il sous le travesti de son auréole chrétienne, un dieu de la mythologie mégalithique? Voici un deuxième fait troublant: des chapelles dédiées au saint s’élèvent près des alignements de Carnac, Erdeven, Plouhinec, Languidic. Or, il est bien connu que le christianisme a régulièrement adopté, en les transformant, les mythes préexistant dans les pays de mission: ces chapelles témoignèrent donc de quelque filiation entre le culte lié aux alignements au moment de l’implantation du christianisme et le culte de saint Cornély…[8] Mais que subsistait-il du vieux culte mégalithique au moment de cette implantation chrétienne? La prudence incline à répondre: rien. Et pourtant! Le menhir de Kerampeulven, dans le Finistère, est indiscutablement un phallus. Et le professeur Giot, parlant du menhir géant de Kervéatous, haut de 12 mètres, note la présence, près de sa base, de «deux bosses en relief diamétralement opposées»: encore un phallus. Ouvrons ici le recueil des légendes recueillies par Le Rouzic: «Saint Cado, écrit-il, le menhir local, passe pour souverain contre la stérilité. Les femmes stériles qui désirent un enfant doivent s’y frotter le ventre en un endroit indiqué. Le géant de Kerdef, près de Carnac, a les mêmes propriétés.» Il semble donc bien que l’interprétation phallique du menhir s’est conservée non seulement jusqu’à l’arrivée du christianisme, mais jusqu’à nos jours.

Mais la preuve définitive de l’antiquité de saint Cornély, c’est le tumulus Saint-Michel lui-même qui l’a livrée: quand, il y a exactement cent ans, on entreprit de fouiller le gigantesque monument, une galerie verticale creusée en son centre tomba d’abord sur la table d’un dolmen, c’est-à-dire sur un tombeau. Des galeries forées par les côtés permirent ensuite d’atteindre la chambre centrale. Une vingtaine de coffres de pierre furent mis au jour. Outre des traces rituelles – bois à moitié brûlé, cendres, objets divers –, Le Rouzic exhuma des ossements: c’étaient ceux d’un homme et de plusieurs bœufs.
Plus tard, les morceaux de bois et de charbon furent soumis au test du carbone 14. Les résultats sont effarants: une partie de ces vestiges ont de 5’000 à 5’500 ans d’âge, et quelques-uns d’entre eux de 8’500 à 9’000 ans!
Ainsi, il y a au moins cinq ou six mille ans, les paysans de la région de Carnac élevèrent ce formidable amoncellement de pierres et de terre (115 mètres de long, 50 de large, 10 de haut) pour inhumer un personnage dont nous ne savons rien.
Ce pardon de saint Cornély venu du fond de la protohistoire, j’ai voulu le voir. Le réparateur radio du village avait installé des haut-parleurs sur le clocher de Saint-Cornély. Rien ne manquait à la kermesse moderne, ni les bistrots à jukebox, ni le klaxon des autos perdues dans la foule, ni les ivrognes, ni les gendarmes. Près du lieu sacré, pour la six millième fois peut-être, les bœufs et les vaches attendaient la bénédiction du saint.
– Que deviendront ces prières et ces chants, que deviendra cette ferveur immémoriale, quand le progrès aura transformé Carnac?
Je posais la question au conservateur du Musée préhistorique.
– Ce que cela deviendra? Son doigt me montrait quelque chose au bout de la rue, une cohue mêlée d’applaudissements. Des tracteurs parés de fleurs et de guirlandes, progressaient lentement vers le dieu inconnu des anciens âges… ■
Aimé Michel
Notes:
[1] Voyez l’étude d’André Faussurier dans ce même numéro.
[2] Notre ami Francis Mazière, en partie grâce à son article paru dans Planète 4 et qui lui valut des appuis, vogue en ce moment, avec une petite équipe de chercheurs, vers l’île de Pâques.
[3] Préhistorien de grand renom. Conservateur du musée de Saint-Germain.
[4] Giot, L’Helgouach et Briard: la Bretagne (Arthaud 1962.)
[5] Voir l’article d’Aimé Michel sur l’Âme villageoise dans le N°7 de Planète.
[6] On trouve des précisions sur saint Cornély dans l’ouvrage de Zacharie Le Rouzic: Carnac, légendes et traditions (Imprimerie bretonne).
[7] Yannik Rollando: la Préhistoire du Morbihan, édité par la valeureuse Société Polymathique de Vannes.
[8] Sur la religion mégalithique, voir notamment l’étonnant livre de Margaret Murray: le Dieu des Sorcières (Éd. Denoël).