Au large de Jupiter
Chronique parue dans France Catholique N° 1410 – 21 décembre 1973
Les chiffres transmis à la Terre par Pioneer 10 à la fin de la première semaine de décembre alors qu’il croisait au large de Jupiter sont maintenant analysés. Et ces chiffres représentent depuis le lancement du premier Spoutnik la contribution la plus importante de l’astronautique à la réflexion philosophique.
En gros, comme le déclarait dès le 7 décembre le professeur I. Rasool, directeur des programmes planétaires de la NASA, Pioneer 10 nous a révélé que la planète Jupiter est une quasi-étoile, et qu’elle eut, pendant la genèse de notre système solaire, il y a quatre milliards et demi d’années, une véritable activité stellaire ou substellaire. Pour comprendre la portée de cette découverte, il faut d’abord jeter un coup d’œil sur ce que l’on savait précédemment de l’origine de la Terre et des planètes.
La réflexion des astronomes
Rappelons donc d’abord que notre Soleil est une petite étoile de la classe G. Rien ne le distingue des autres étoiles de sa classe, qui sont des dizaines de milliards dans notre galaxie. On sait aussi qu’une forte proportion des étoiles sont groupées à deux, trois ou davantage, qui tournent autour d’un centre de gravité commun. En fait, il existe sans doute une majorité d’étoiles multiples. Le Soleil, lui, est actuellement une étoile simple. Autour de lui ne gravitent que des planètes, c’est-à-dire des astres n’émettant apparemment aucune lumière propre.
La forme, la nature et la disposition des neuf planètes de notre système autour de leur étoile le Soleil est l’objet de la réflexion des astronomes depuis des siècles. Les faits les plus remarquables qu’ils ont observés sont les suivants
1. les planètes ont une densité d’autant plus élevée qu’elles sont plus proches du Soleil;
2. si une planète est petite, elle est au voisinage du Soleil; si elle est grosse, elle est loin de lui;
3. si une planète est très petite, elle n’a pas ou presque pas d’atmosphère; plus elle est grosse, plus son atmosphère est épaisse;
4. on déduit de tout cela que les planètes trop proches du Soleil ou trop petites n’ont pas ou peu d’atmosphère.
Tous ces faits sont expliqués par l’astrophysique récente, et plus particulièrement par les effets, de pression de radiation et de vent solaire. À l’origine, le milieu cosmique où le Soleil et les planètes se forment par condensation a une composition à peu près homogène.
Dès que le Soleil, suffisamment échauffé par sa condensation, se met à rayonner et à projeter des particules, son souffle chasse loin de lui les éléments légers, hydrogène, hélium, oxygène et autres gaz libres. Les molécules plus lourdes (métaux, oxydes, carbonates, silicates, etc.) restent et forment le noyau des planètes solides (Mercure, Vénus, Terre, Mars, la Lune). Mercure, trop près du Soleil et trop petit pour contrebalancer l’effet de la pression solaire, perd son atmosphère. Vénus et la Terre, assez grosses, gardent la vapeur d’eau, le CO2, l’azote, quelques traces de gaz lourds. Mars, plus éloignée mais trop petite, ne garde qu’une atmosphère ténue. Au-delà, c’est le grand désert des planétoïdes, puis commence la zone des grosses planètes gazeuses, dont la plus énorme est Jupiter, 318 fois plus massive que notre petite Terre, entourée de son cortège de lunes (une douzaine).
C’est ce cortège que Pioneer 10 a traversé au début du mois prenant photos sur photos et un nombre immense de mesures. Le dépouillement de ces mesures et de ces photos montre une fois de plus que comme Pascal disait, «l’imagination se lasse plus tôt de concevoir que la nature de fournir».
En effet, tout d’abord, la température de l’atmosphère extérieure de Jupiter est anormalement élevée: tous les chiffres recueillis varient entre −215 et −230° F; cette température est également répartie tout autour de la planète: autrement dit Jupiter est aussi chaude la nuit que le jour; enfin la planète rayonne deux fois et demie plus d’énergie qu’elle n’en reçoit du Soleil. Elle est donc elle-même, comme les étoiles, source d’énergie, et selon le docteur G. Minch, sa température centrale actuelle doit être évaluée à quelque 10’000°F.
Jupiter aurait-elle donc été jadis une étoile? S’il en était ainsi, tout ce que j’ai dit plus haut sur la relation entre la nature des planètes et leur distance au Soleil devrait se retrouver aussi entre les satellites de Jupiter: les plus denses devraient être les plus proches de la «planète». Or c’est bien ce qu’a observé Pioneer 10. Non seulement les plus proches sont les plus denses, mais on retrouve entre les quatre principaux satellites de Jupiter les mêmes corrélations de densité qu’entre Mercure, Vénus, la Terre et Mars de la part du Soleil. Tout semble donc bien prouver que Jupiter fut d’abord une petite étoile.
Quatre milliards d’années
Voilà qui donne à réfléchir! Car non seulement se retrouve ainsi directement confirmé ce que Van de Kamp avait déjà établi par l’observation indirecte, à savoir qu’autour de toute étoile il y a des planètes, mais les densités relatives des satellites joviens mesurées par Pioneer 10 précisent que ces planètes ne sont pas n’importe quoi: la naissance de la Terre telle qu’elle est ne doit rien au hasard, elle est l’effet d’une règle! Car ce ne peut être par hasard que la configuration si particulière Mercure – Vénus – Terre – Mars se retrouve dans celle des quatre grands satellites de Jupiter, qu’il vaudrait mieux désormais appeler des planètes.
Enfin, si Jupiter fut jadis une étoile, cela répond une fois pour toutes à la question de savoir si la vie peut apparaitre dans les systèmes d’étoiles multiples, puisqu’il existe des traces de vie terrestre remontant à presque quatre milliards d’années, c’est-à-dire justement à l’époque où Jupiter rayonnait encore. Il ne semble pas que l’étoile Jupiter ait empêché la naissance de la vie terrestre! La nature décidément ne se lasse guère de fournir.■
Aimé Michel