Notre chair dans les étoiles


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Notre chair dans les étoiles

Chronique parue dans France Catholique − N° 1296 – 15 octobre 1971

 

Ce crâne humanoïde vieux de 200’000 ans dont j’ai rapporté la découverte par Henri de Lumley dans une récente chronique[1] semble avoir stimulé la réflexion de nos lecteurs. Certains en sont troublés: la science se mêlerait-elle de réfuter Adam et la Genèse?

Qu’ils se rassurent: Adam se porte bien. De toute façon, la Genèse et la paléontologie ne parlent pas du même problème même problème[2]. La paléontologie ne se préoccupe (et ne peut se préoccuper) que des corps. Aidée de la préhistoire et de la physiologie, elle pourra probablement dire un jour de quand datent, par exemple, l’apparition du langage ou la domestication du feu.

Mais l’âme? L’âme ne laisse pas le fossile. Il en est de sa présence dans la préhistoire comme de sa présence dans le fœtus, qui commence par être une espèce de bactérie et qui ensuite, en neuf mois, franchit en un développement accéléré toute l’épaisseur du monde animal, récapitulant, selon l’expression de Haeckel, toute la phylogenèse. Haeckel était athée et tirait de cette récapitulation des conclusions de son cru, aussi gratuites que la croyance au Père Noël. Quand on ne croit à rien, on croit au Père Noël.

Les éléments de l’homme

Mais si la paléontologie s’interdit par nature de faire de la théologie, elle n’en donne pas moins à réfléchir sur la place de l’homme dans l’univers. Une autre science est peut-être encore plus suggestive dans ce domaine: c’est l’astronomie, et surtout la plus récente. Comme la paléontologie, elle écrase apparemment l’homme dans son insignifiance et sa petitesse. Et pourtant…

Considérons par exemple la composition chimique de notre corps. Il est fait essentiellement, à plus de 95% de quatre éléments: l’hydrogène, l’oxygène, le carbone et l’azote. Or, dans l’atmosphère solaire, dont la composition chimique est directement identifiable par le spectrographe, les éléments les plus abondants sont dans l’ordre: l’hydrogène, l’hélium, le carbone, l’azote et l’oxygène.

Ce n’est pas tout. Parmi les éléments les plus importants pour toute vie animale, il y a le fer (qui fait l’hémoglobine, c’est-à-dire le sang) et le magnésium (qui joue un rôle capital notamment dans le système nerveux, donc le cerveau). Or, ces deux éléments viennent, dans l’atmosphère solaire, en sixième et septième positions.

De ces chiffres, on est forcé de conclure que le corps humain, support de la pensée, était déjà préfiguré dans la composition du gaz stellaire en train de se condenser il y a quelque 5 milliards d’années dans l’immensité de l’espace, quand ce qui devait être un jour le soleil et les planètes et l’homme opérait sa nucléosynthèse au sein de la galaxie. L’homme n’a pu apparaître 5 milliards d’années plus tard que parce que les éléments dont son corps est constitué se trouvaient précisément répandus dans les proportions requises parmi les ténèbres que le soleil n’éclairait pas encore. Voilà qui est déjà bien remarquable. Mais où cela confond, c’est quand on suit à travers le lointain cosmique l’histoire de ces éléments.

Les corps célestes les plus anciens de la galaxie sont les amas globulaires, dont certains semblent remonter à 20 milliards d’années au moins. Les plus récents sont certaines étoiles très brillantes qui jettent leurs premiers feux sous le regard de nos instruments. Entre les deux, les astrophysiciens retrouvent tout l’échantillonnage des âges successifs. Et, de même qu’en pénétrant dans une forêt on peut d’un coup d’œil survoler la vie du chêne depuis le gland jusqu’au géant craquant de vétusté de la même façon on peut, à partir de l’hydrogène primitif, voir apparaître successivement dans l’espace les éléments plus lourds, l’hélium, puis le carbone, puis l’oxygène, puis le néon, puis le magnésium, le silicium, le soufre, l’argon et enfin le calcium. Tous ces éléments se synthétisent successivement au sein des étoiles dans l’ordre indiqué ci-dessus selon le processus appelé «processus alpha» et où l’hélium joue le rôle essentiel, celui, pourrait-on dire, de matière première.

Au-delà du calcium, et pour les éléments qui ne sont pas des multiples massiques de l’hélium, il faut une véritable révolution, dans le sens le plus dramatique et le plus spectaculaire du mot. Remarquons que, pour que le corps de l’homme soit possible, cette révolution est nécessaire: nous n’avons encore ni l’azote, ni le fer, ni aucun des nombreux oligo-éléments qui jouent un rôle indispensable dans le métabolisme de la vie. En quoi consiste cette révolution? Pour la comprendre, il faut suivre minutieusement l’évolution des divers types d’étoiles telle qu’elle apparaît sur les diagrammes utilisés par les astrophysiciens, et dont le plus simple est celui de Hertzsprung-Russel. Nous ne pouvons le faire en quelques paragraphes[3]. Mais nous pouvons le résumer en une phrase: au-delà du processus alpha, les éléments n’apparaissent qu’au prix d’une complète métamorphose des étoiles, impliquant notamment leur explosion (ce sont les novas et supernovas), la redispersion à travers l’espace d’une partie de leur masse et le recommencement du processus de nucléosynthèse d’où sortira une étoile de deuxième génération. Tout l’espace cosmique dans son immensité devra se remettre une deuxième fois (et probablement un grand nombre de fois) en gésine, faute de quoi les étoiles de type solaire, riches en éléments lourds, ne sauraient apparaître. Faute de quoi aussi l’homme lui-même, évidemment ne saurait exister.

Une seule aurait suffi

Or, le rendement de cette prodigieuse machine est tout à fait remarquable: 98% des étoiles appartiennent à la famille solaire. Peut-on, constatant cela, résister à l’impression d’une finalité globale organisant l’univers entier, qui nous écrase, en vue de l’enfantement de la vie et de l’homme?

Notons cependant – et c’est un «cependant» qui compte – que, s’il en est ainsi, la solitude de l’homme dans l’univers apparaît comme immensément invraisemblable. Une seule étoile eût suffi à faire la chair de l’homme. Ces 98% étaient inutiles. Et ces 98%, je le rappelle, font environ 100 milliards d’étoiles dans notre seule galaxie, qui est elle-même répandue dans l’espace à des milliards d’exemplaire, et peut-être à l’infini…■

Aimé Michel

Notes:

(1) France Catholique, 10 septembre 1971.

(2) Signalons à ce sujet une excellente étude (en latin) publiée par l’abbé Denis Lepoutre, curé de Dury, 80-Amiens, dans le numéro 213 de Palaestra Latina (San Antonio Ma. Claret, 9, Saragosse, Espagne).

(3) Les meilleurs textes disponibles en français sur ces problèmes sont: Structures de l’univers, d’Evry Schatzman (Hachette, 1968), et Planètes et Satellites, de Pierre Guérin (Larousse, 1970). Schatzman et Guérin sont deux astrophysiciens français. Voir notamment le chapitre 3 de Schatzman et dans le livre de Guérin les chapitres du même Schatzman et la conclusion de Guérin.

 

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