Les maquilleurs de l’histoire

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Les maquilleurs de l’histoire

Chronique parue dans France Catholique − N° 1882 – 7 janvier 1983

 

Le samedi 11 décembre, France-Culture annonçait pour 18h une prometteuse émission sur le Pacte Germano-Soviétique du 23 août 1939. Je l’ai écoutée attentivement, car, en 1939, ceux de mon âge étaient à l’école et suivaient, heure par heure, comme dit la Radio, la mise en marche de cette fournaise où beaucoup de nous sentaient qu’ils allaient périr. Ce qui effectivement arriva pendant les cinq années suivantes.

«Historien, Marc Ferro», annonçait le programme. Bel historien! En une heure vingt-cinq, il nous fut, entre autres choses, démontré que Staline ne signa son pacte que pour s’accorder un répit de paix et même peut-être la paix définitive; qu’effectivement les deux compères, après s’être partagé l’Europe de l’Est, offrirent la paix aux puissances occidentales, qualifiées tantôt d’hégémoniques dans l’émission, tantôt de pacifistes (quelle horreur, n’est-ce pas?), ou d’impérialistes; que cette offre fut rejetée, que Staline avait tout à craindre de la Pologne «fasciste», car celle-ci avait des visées sur l’Ukraine; que, du reste, Staline fut acculé à ce revirement par la félonie des occidentaux dont le rêve secret était de déclencher une guerre germano-soviétique; que les annexions de Staline en Europe de l’Est doivent être appelées «récupération des provinces perdues» quand on parle des États Baltes (aucune allusion aux déportations massives et fusillades paternellement organisées chez les Lettoniens, Lithuaniens, et Estoniens pour marquer leur retour à la Mère Patrie); que d’ailleurs Staline trouva une confirmation du pacifisme à tout prix des Occidentaux dans la «Drôle de Guerre», les Finlandais ayant décidé de résister au «retour», même partiel, à la «Mère Patrie».

On ne saura donc jamais quelle fureur bizarre animait ces rebelles, ni que Staline, pour les attaquer le 30 novembre 1939, deux mois après avoir garanti leur indépendance, déclara qu’il se défendait contre leur agression.

Le Pacte Germano-Soviétique eut-il comme conséquence la Deuxième Guerre Mondiale? On n’en sait rien, répond l’historien, puisqu’on ne peut refaire l’Histoire.

M. Ferro aurait pu évidemment citer les archives de la diplomatie nazie, montrant que Hitler n’attendait, en ces derniers jours d’août 1939, que la signature du Pacte pour attaquer la Pologne. Mais pourquoi citerait-on ces mensonges nazis? On ne saura donc jamais si, en signant le Pacte Germano-Soviétique, Staline donna les mains libres à Hitler pour déclencher la Deuxième Guerre Mondiale: et, de toute façon, il ne signa ce pacte que contraint par la fourberie occidentale.

Il ne faut pas compter non plus sur nos ondes pour rappeler comment tous ces détails apparurent à nombre de communistes français comme une si claire trahison qu’ils déchirèrent leur carte, et que quelques-uns se suicidèrent.

Cette même surprenante émission soulignait, qu’en signant, Hitler avait déjà en tête l’attaque de la Russie et que Staline le savait fort bien. Pas un mot sur les avertissements vainement répétés de Churchill à Moscou au printemps 1941 pour signaler les préparatifs de l’attaque allemande, avertissements que Moscou rejeta comme une honteuse tentative de briser l’amitié germano-soviétique. Pas un mot non plus de Katyn: 4’200 officiers polonais fusillés par l’Armée Rouge. Il est vrai que c’était en mars/avril 1940, pendant cette «Drôle de Guerre» où il ne se passait rien.

Je n’écris pas ces lignes pour dénoncer quelques mensonges qu’il nous faut entendre. Dans la pyramide actuelle des âges, les Français, ou bien se rappellent, ou bien ne savent que très vaguement de quoi il s’agit. De plus, l’auditeur moyen de France-Culture est assez averti pour reconnaître le bourrage de crâne. Ce n’est pas en omettant de parler de Katyn qu’on le fera oublier. Ce n’est pas en appelant «récupération des anciennes provinces» l’occupation des États Baltes et les massacres et déportations qui s’ensuivirent qu’on effacera ces forfaits de l’Histoire.

En tant qu’évocation historique, il n’y a même pas là de quoi justifier un haussement d’épaules, en dépit de l’océan de sang et de larmes qu’on s’imagine camoufler en n’en parlant pas.

Ainsi jette-t-on depuis toujours en vain quelques pelletées de terre sur les fosses communes après les fusillades, en se flattant que l’Histoire n’en saura rien.

L’Histoire finit toujours pas savoir, quoi qu’on fasse. On n’arrive jamais à fusiller tout le monde. Même les bourreaux finissent par parler.

Donc, je ne proteste pas contre l’étrange utilisation d’un service public qui voudrait nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Comme on nous le répète, chaque fois qu’il se doit, n’est-ce pas là ce que nous avons librement choisi en votant?

Loin de protester, je pense. que de telles émissions sont intéressantes en ce qu’elles révèlent l’interprétation de l’Histoire que l’on veut nous faire croire. Il faut écouter attentivement ce que l’on nous raconte et nous le tenir pour dit. En 1939 déjà, la Pologne menaçait l’URSS (ils ont donc le diable au corps, ces Polonais?).

C’est en reprenant les visées tsaristes (et non pas en vertu de la stratégie communiste mondiale) que Staline en 1939/40 «mange» l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, sa part de Pologne, la Bessarabie et la Bukovine; dans ce cas, pourquoi l’URSS est-elle toujours là? C’est ce que l’on omet de nous dire, mais là n’est pas la question.

L’important est que telle est la vérité qui nous vient des ondes, service public. De même, l’on apprend que «tous les traités sont des chiffons de papier», la différence étant que certains le disent.

Pourquoi l’impérialisme franco-britannique a-t-il honoré le chiffon de papier qui l’engageait envers la Pologne? Cela ne nous est pas expliqué, mais en se remémorant ce qui est dit de la Pologne «fasciste» menaçant l’Ukraine, on voit le mystère s’éclaircir un peu.

«Voilà précisément comme on écrit l’Histoire», disait Voltaire. Voilà surtout comment on voit le passé chez ceux ou quelques-uns de ceux qui font notre présent. On dit que le passé répond de l’avenir. Ce n’est pas gai. Mais mieux vaut être averti.

Aimé Michel

http://www.france-catholique.fr/ 

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