Aimé Michel, chroniqueur scientifique
et apologiste franc-tireur
Préface d’Olivier Costa de Beauregard à La clarté au cœur du labyrinthe, Éditions Aldane, 2008
Voici des années, j’ai fait la connaissance d’Aimé Michel «pour un motif de curiosité futile» diraient les gens sérieux. Son bouquin sur «le phénomène ovni» m’ayant fort intrigué, je suis allé bavarder avec lui là-dessus, à Paris. Découvrant à cette occasion que nous avions en commun beaucoup de curiosités «sérieuses» nous avons gardé le contact.
Bien plus tard, France Catholique m’ayant contacté au sujet d’une contribution régulière d’Aimé Michel comme chroniqueur scientifique, j’ai exprimé un avis très favorable, probablement conforme à d’autres, et plébiscité par les lecteurs.
Aimé Michel, d’une curiosité intellectuelle insatiable, lisait énormément. Son flair repérait les énigmes significatives, et il avait un vrai talent pour les exprimer dans la langue de tous. Sa chance aura été qu’au tournant du dix-neuvième au vingtième siècle, une double et énorme «révolution scientifique» ait surgi en physique, avec les théories des Quanta de Planck et de la Relativité d’Einstein. Le tumulte, qui fut grand chez les experts, se répercuta dans l’intelligentsia; Aimé Michel le ressentit, et sut très bien le dire, trouvant aussi des citations pour illustrer le fait. Qu’on me permette d’ajouter ici les deux suivantes.
Les Propos d’Alain, publiés à La Pléiade, contiennent de fracassantes «sorties» contre la relativité d’Einstein. «L’art de penser, lit-on p. 387, qui consiste à débrouiller les idées selon le commun langage, est tout autre que l’art de manier les symboles algébriques». L’intelligence de notre condition humaine n’aurait donc rien à attendre de l’investigation physicienne? Quid alors de l’orage autrefois déclenché par Copernic et par Galilée? P. 468 on lit: «Le temps unique est une forme universelle de l’esprit humain. Si l’on me nie cela je propose comme première épreuve que l’on essaie de penser deux vitesses différentes sans les rapporter à un temps unique. Mais ces faciles remarques seront méprisées». Alain oublierait-il qu’à l’origine de la relativité il y eut un défi expérimental à ce qui passait pour une évidence touchant «la composition additive des vitesses»: l’expérience d’Arago de 1818, et la formulation de son résultat par Fresnel? En 1927, Hadamard, dans son Cours d’Analyse de Polytechnique, montre comment induire la formule relativitiste à partir de celle de Fresnel au moyen de la théorie des groupes. P. 1296 on lit: «Il n’a fallu qu’un jeu de miroirs (l’expérience de Michelson) pour qu’Einstein remplace soudain toutes nos idées par quelques formules qui n’ont aucun sens». Et voilà!
Arrêtons ici une cueillette qui pourrait continuer, en notant que la première citation résume toute la suite. Et rappelons avec Aimé Michel que Lactance tenait le haut et le bas pour des concepts «évidents» rendant absurde l’idée d’une «Terre ronde»…
Je me suis autrefois disputé avec un théologien respecté, l’abbé Lallement qui, pensant à peu près comme Alain, l’exprimait à sa manière. Pour lui, «l’espace et le temps selon Einstein ne sont pas ceux où nous vivons, mais des fictions, des artifices». Or, p. 78, Michel titre: La physique et ses fictions.
De ceci prenons un exemple, le «paradoxe relativiste des jumeaux». Comme le rappelle Aimé Michel, ce paradoxe a été illustré expérimentalement. Deux chronomètres atomiques nombrant le temps à 10-12 près embarqués à Washington dans des avions long-courriers suivant en sens opposés le même parallèle n’étaient plus synchrones au retour à Washington. L’explication relativiste est que, du fait de la rotation de la Terre, «les deux trajets en hélice dans l’espace-temps ont des pas inégaux». Le résultat mesuré confirma le résultat calculé. Alors, «si au départ les pilotes étaient deux jumeaux vrais rasés de frais, et si l’on savait mesurer à 10-12 près les longueurs de leurs barbes, la différence mesurée au retour confirmerait celle lue aux chronomètres» – une version rénovée de l’effet Galilée, en quelque sorte.
Un paradoxe, au sens fondamental des dictionnaires, est «un énoncé surprenant mais peut-être vrai». Ce qu’Aimé Michel, chroniqueur scientifique et apologiste franc-tireur, fait bien sentir est que la science, dont l’objet est le comment des phénomènes (et qui parfois en dévoile des aspects surprenants) oblige à s’interroger sur le pourquoi, auquel elle n’a pas vocation de répondre. C’est là qu’est sa grandeur, autrement, elle ne serait que «vaine curiosité»: elle incite à franchir la ligne entre physique et métaphysique.
De nos jours, remodelant fondamentalement les conceptions héritées de «la révolution héliocentrique», les innovations dues à Planck et à Einstein réfutent, expériences à l’appui, la thèse longtemps régnante d’un «réalisme déterministe». Ainsi s’esquisse l’émergence d’une «psychophysique» tenant le réel pour une réalisation intersubjective; celle-ci, formalisée par une télégraphie relativiste et quantique interconnectant des préparations et des mesures, ou en jargon cybernétique des codages imprimant une information-organisation et des décodages exprimant une information-connaissance. L’idée d’un inconscient collectif de Jung se trouve ainsi évoquée.
C’est dans ce genre de problématique qu’Aimé Michel fait merveille, avec parfois un brin d’humour.
Je recommande donc vivement la lecture des textes choisis par J.-P. Rospars. J’en parle en connaissance de cause, m’étant aventuré avec un grand intérêt dans ceux portant sur des objets autres que ceux me concernant. ■
Olivier Costa de Beauregard
Jean-Pierre Rospars