Un prince de la métapolitique: Arthur Koestler
(Revue Question De. N° 14, 3e trimestre 1976)
Pendant longtemps, les hommes ont cru qu’on pouvait atteindre la vérité par le seul effort de la pensée, en raisonnant à partir de principes évidents – apparemment évidents. Ce fut le désespoir des derniers sages antiques de constater, après mille ans de discussions, que cette voie ne menait nulle part.
Encore mille ans de Moyen Âge, et quelques hommes eurent l’idée qui changea tout: il ne suffisait pas de réfléchir, il fallait interroger la nature. La science expérimentale commençait.
Mais on avait tant discuté que l’on continua. Il fallut encore quatre siècles pour que les discuteurs nous annoncent eux-mêmes leur échec, et que la philosophie était morte[1].
Admettre son échec, c’est bien. Mais les philosophes n’ont pas voulu mourir seuls. Ils nous ont aussi annoncé la mort de toutes les questions qu’ils n’avaient pu résoudre.
Certaines questions sont le tissu de notre vie. Selon qu’on leur donne telle ou telle réponse, ou qu’on n’en donne aucune, tout est changé, comme dit Pascal: qu’est-ce que l’homme? qu’est-ce que la pensée? d’où viennent et où vont les choses, y compris nous-mêmes? sont-elles le produit d’un hasard aveugle ou, au contraire, d’un programme, d’un «grand dessein», comme je l’ai écrit[2]?
Ayant failli à nous le dire, les philosophes ont voulu nous persuader que leur faillite était le dernier mot de la connaissance. Non seulement (essaient-ils de nous faire croire) leur impuissance à répondre prouve l’impuissance des autres, mais ces questions sont vides de sens, et le fait même de les poser est un commencement de déraison. Quelles raisons avons-nous de les croire? Les leurs, c’est-à-dire aucune, puisque la philosophie n’existe plus. S’il est vrai, comme ils l’affirment, que la philosophie a démontré sa propre faillite, eh bien, que les philosophes se recyclent dans quelque métier utile et qu’ils laissent les événements se dérouler selon la coutume établie depuis Galilée. Que la science prenne en main leur entreprise ratée. Les questions sur la nature, l’origine et la destinée de l’homme et de l’univers ne sont pas leur propriété mais celle de tous les hommes, et nous entendrons les examiner avec les mêmes méthodes qui ont conduit Viking jusqu’à la planète Mars et livré les mécanismes élémentaires de la vie, ainsi qu’une infinité d’autres résultats concrets.
C’est ce qui se passe, comme en témoigne l’œuvre d’un Koestler. Je me rappelle l’impression que me fit la lecture des Somnambules, vers 1959 ou 1960. Je ne m’étonnai certes pas que Koestler se fût mis à réfléchir sur la science, lui qui semblait avoir toujours vingt ans d’avance sur la réflexion contemporaine (qu’on relise le Zéro et l’Infini, publié en 1945, et qu’on pense à l’Archipel du Goulag). Ce qui m’émerveillait, c’était la naissance d’une nouvelle manière de réfléchir sur l’homme, c’est-à-dire de philosopher, qui ne dût rien à la philosophie, et tout à la science. Koestler, en romancier, nous introduisait dans la psychologie la plus secrète de la découverte scientifique. Il nous dévoilait les paradoxes de la rigueur, née au fond de l’inconscient et se libérant de lui pour atteindre à la vérité objective. Chemin faisant, il nous faisait part de ses propres réflexions, toujours ayant pour objet l’homme et pour aliment la connaissance expérimentale. À une époque où presque rien de solide n’avait été publié sur les O.V.N.I., je fus même surpris de trouver (en haut de la page 353 de l’édition française) une dizaine de lignes où les difficultés méthodologiques du problème étaient définies avec la fermeté d’un expert. J’eus envie de lui écrire. Puis je pensai qu’un auteur qui publiait à une telle cadence des livres si documentés et si réfléchis ne retranchait probablement pas une minute à son travail et que, de toute façon, sa notoriété devait le submerger de lettres auxquelles il ne pouvait répondre. De plus, il me semblait qu’un homme ayant connu de telles aventures vivait encore probablement une vie très agitée. Je n’écrivis donc pas, mais il devint l’un des deux ou trois auteurs dont je lus tous les livres dès leur parution. Lecture qui n’a cessé, depuis, de me confirmer que la philosophie n’a plus besoin des philosophes. Ou qu’en tout cas les philosophes peuvent tout reprendre à zéro en ne se fondant que sur la science[3].
Le rôle du hasard et son insuffisance
J’ai quand même fini par connaître Koestler, je l’ai vu chez lui, dans sa solitude, je sais un peu comment il travaille, et nous avons eu l’occasion de beaucoup discuter. Revenons donc à la philosophie. Elle est morte (nous dit-on) en essayant de savoir le dernier mot de l’homme, de l’univers, de Dieu. À quoi s’essaie-t-elle en renaissant sous une autre forme? On ne peut guère s’attendre que ce soit à cela même dont elle est morte. Comme le remarque Koestler dans ces mêmes Somnambules, les premières expériences de Galilée (qui fondaient la méthode expérimentale et mettaient la science sur les rails où elle en est encore maintenant) ne se situaient pas du tout dans le prolongement des spéculations physiques antérieures. Elles rompaient avec elles. Ces spéculations, par exemple sur l’impetus[4], ne veulent tout simplement plus rien dire dès l’instant où Galilée se met à explorer le ciel avec sa lunette et où il établit comment son caillou tombe du haut de la tour de Pise. Ce caillou et cette lunette, en face du noble, abstrait et ténébreux impetus, ne font pas sérieux. Ce sont des amusettes pour esprits frivoles.
Plutôt les faits concrets que la réflexion abstraite
En réfléchissant sur la science, Koestler ne se soucie pas de savoir si la philosophie y trouve son compte. Il va tout droit là où la science achoppe et où se préparent les secousses les plus brutales: au rôle du hasard et à son insuffisance manifeste dans la production des phénomènes. Sous des angles divers, il a consacré plusieurs livres à ce problème. Dans l’Étreinte du crapaud[5], il raconte l’histoire du biologiste autrichien Kammerer, qui passa sa vie à relever des séries de coïncidences improbables, presque impossibles, si ces deux mots peuvent aller ensemble, et qui cependant se produisaient. Il y revient, par le biais de la physique et de la parapsychologie, dans les Racines du hasard[6], dans Challenge to Chance (en cours de traduction). Et, de même que le caillou de Galilée et sa lunette contenaient l’évolution future de la physique à l’insu de ceux qui alors se croyaient physiciens (puisque même Descartes s’imagina encore pouvoir acquérir des connaissances physiques par la seule déduction abstraite), de même la réflexion de Koestler sur les défis opposés par les phénomènes aux lois du hasard rouvre par une clé nouvelle le champ déserté par la philosophie. Il s’agit d’une démarche identique: Koestler, comme Galilée, abandonne la déduction abstraite pour les faits. Il a même suscité la réunion d’un congrès de physiciens et de parapsychologues où l’on a vu des membres de la Royal Astronomical Society, des physiciens de Cambridge, de l’université Stanford, de Columbia, de l’institut Henri-Poincaré proposer des modèles mathématiques pour la prémonition ou exposer des expériences sur la télépathie. Et cette démarche identique est reçue comme celle de Galilée: elle suscite l’intérêt de tout le monde mais reste ignorée de la plupart des philosophes professionnels, qui ne voient pas que les grandes questions enterrées par eux renaissent à la lumière de la science sous un jour nouveau.
Le grand éboueur des idées creuses
C’est une position singulière de Koestler qui me frappe. Il n’est pas philosophe et ressuscite la philosophie. Arrivé à la célébrité internationale par la littérature engagée et l’aventure politique (réchappé d’une condamnation à mort!), il juge tout compte fait, que la véritable action sur le monde s’opère d’une autre façon, plus indirecte et plus profonde, par l’esprit; il revient sur les études scientifiques de sa jeunesse viennoise et médite dans la solitude au cœur de Londres.
J’avais deviné juste en imaginant un homme entièrement voué à son travail. C’est bien ce que j’ai vu en le visitant. Il dit ne travailler que huit heures par jour: correspondance le matin, rédaction de son œuvre l’après-midi. En fait, il n’accorde pas une minute au divertissement. Cet homme de fer, qui mange comme un mineur et boit sec, n’abandonne jamais le fil de sa réflexion, même verre ou fourchette en main, quoique maître gourmet. Il questionne, écoute, n’oublie rien, patient comme un Tartare, toujours précis, réagissant sur-le-champ à l’idée creuse par des faits. Il est le grand éboueur des idées creuses.
Il faut qu’il ait mesuré la puissance des mots pour tourner ainsi vers la pensée une énergie physique qu’on devine énorme.
Les lecteurs de Koestler? Les futurs maîtres de demain
Koestler a eu plus de vraies aventures qu’Hemingway. On l’imagine sans peine à cheval dans la steppe, lance au poing, comme ses étranges ancêtres dont il a raconté l’histoire dans la Treizième Tribu. Cependant, il vit dans le silence, seul avec son épouse Cynthia et sa recherche, dans une grande maison traversée de volées d’escaliers à la Piranèse. On le sent sûr de ce qu’il fait. Comment ne le serait-il pas, sachant qui sont ses lecteurs? Koestler est dans la bibliothèque de tous les étudiants qui voient plus loin que leurs études. Ceux qui, demain, donneront au monde son climat spirituel le connaissent tous et l’ont tous médité. Il a prévu voilà plus de vingt ans le temps avancé par Keynes: «Un jour viendra où le politique et économique régresseront enfin à la place qui est la leur: celle de serviteurs de l’esprit.»
Il est vrai que ce temps ne vient que dans une partie du monde, les démocraties industrialisées, et qu’on n’en voit guère la promesse chez Amin Dada ni chez Indira Gandhi. Mais les hommes n’évoluent pas partout à la même vitesse. Koestler a montré il y a plus de trente ans que la lutte politique n’est pas le moteur premier de leur changement: bien au contraire, en semant le chaos, elle entrave les seuls facteurs objectifs de progrès que sont l’éducation, l’acquisition collective des compétences et la transformation du milieu qui en résulte.
J’ai suggéré une fois à Koestler que la lutte biologique d’où l’homme est sorti se poursuit maintenant entre systèmes apparemment abstraits ayant le cerveau de l’homme pour siège et théâtre. Le nazisme, le communisme, le fascisme, les diverses religions, le nationalisme seraient ce qu’il appelle des «holons», des entités vivantes réelles se battant pour survivre, comme la coccinelle et le dinosaure. «J’avoue, me répondit-il, que l’énorme gaspillage supposé par cette hypothèse n’est pas moins déprimant que l’hypothèse des deux cerveaux[7]. Elle fait de l’anima mundi un moloch. Mais peut-être est-elle vraie.» Est-elle vraie? Est-elle fausse? Koestler n’argumente pas, sachant que les faits, non les arguments, ont le dernier mot.
Pourquoi de jeunes scientifiques lisent Platon et Cicéron…
On est toujours frappé de trouver quelques livres de Koestler, parfois tous, dans la bibliothèque des futurs maîtres du monde, les jeunes savants et techniciens. Dans les universités américaines, des professeurs m’ont dit que cette attention portée au solitaire de Londres s’accompagna d’un changement imprévisible il y a seulement cinq ans: le renouveau des études classiques qu’on appelle en France les «humanités». Il y a quelques années, les départements d’études classiques (latin et grec) étaient aux États-Unis menacés de disparition. Dans certaines universités, ils ne comptaient plus que quelques étudiants… qu’on trouve maintenant par centaines. Quand on leur demande ce qu’ils font là, on découvre que ces jeunes gens ne sont ni des linguistes ni des grammairiens, mais le plus souvent des scientifiques qui étudient les langues de l’Antiquité en plus, dans un but non professionnel. À la question: «Pourquoi?», ils répondent: «Je veux pouvoir lire Platon, Aristote et Cicéron. – Mais pourquoi? – Parce que le monde moderne, et surtout la science, pose à nouveau les questions éternelles.»
La méditation sur la science devient un humanisme
Koestler, le premier, s’est avisé que la science, au-delà de chaque spécialité, suscite en nous un acte de pensée plus profond que la connaissance technique. Certes, il y a toujours eu des esprits capables de dépasser la connaissance technique en l’utilisant, de Pascal et Berkeley à Whitaker et Costa de Beauregard. Mais c’est avec Koestler que la méditation sur la science est devenue un humanisme, c’est lui qui a su le premier, par l’utilisation de la connaissance positive, mobiliser dans l’homme le même espace profond que l’artiste, celui où naît l’inquiétude des interrogations fondamentales, les «questions éternelles» des étudiants américains. Au cours d’un colloque de physiciens et de parapsychologues, Koestler souligna que la science se passe fort bien de comprendre ce dont elle parle: «C’est un point important, dit-il. Dans l’histoire de la science, il arrive souvent qu’un phénomène soit accepté sans être compris. Il n’y avait pas d’explication des phénomènes électromagnétiques au moment où Oersted en précisait les premières lois.» Propos qu’approuva Gerald Feinberg, l’inventeur des tachyons: «La science, dit-il en substance, est satisfaite quand un phénomène est prédictible et reproductible.» Mais, si la science est satisfaite, l’esprit reste sur sa faim. Les Racines du hasard, l’Étreinte du Crapaud, Challenge to Chance mettent en évidence ce qu’il y a de frustrant et de limité dans l’interprétation causale, la seule que la science connaisse. Plus on avance dans l’investigation des choses, et plus on augmente le nombre des faits dont aucune explication causale, c’est-à-dire aveugle, ne rend compte. C’est vrai en physique, où le même phénomène peut se produire maintenant ou attendre un milliard d’années sans raison ni connue ni connaissable. C’est vrai à l’autre bout de la chaîne des phénomènes, en parapsychologie, où chacun vit un jour ou l’autre une expérience extraordinaire de transmission de pensée ou de prémonition, mais sans pouvoir comprendre ni reproduire ce qui s’est passé.
«La science sans importance et la nature inutile»: J.-P. Sartre
L’insistance de Koestler sur la nature mystérieuse du hasard, apparemment aussi éloignée des «questions éternelles» que le caillou de Galilée l’était de l’impetus, ramène en réalité ces questions par les méthodes de la physique; et, cette fois, on ne peut plus y échapper par l’obscur verbiage philosophique, car elles sont posées dans le langage de la science.
Koestler a suscité un autre congrès, celui de biologistes cette fois, sur le thème: «Au-delà du réductionnisme». Pendant plusieurs jours, des savants sont venus dire en quoi l’être vivant, et même toute structure vivante, est plus que la somme de ses parties; en quoi, par conséquent, l’architecture physique de l’être vivant, tout en se fondant peut-être sur des lois causales, réalise un programme qui, lui, n’existe que par sa fonction, par le but qu’il accomplit. On s’était jadis débarrassé des philosophes et savants qui s’efforçaient de montrer la même chose en les traitant d’obscurantistes, en les accusant d’introduire dans la nature des forces non rationalisables. Mais, fait remarquer Koestler, les plus grands progrès de la physique au cours de ces cent dernières années sont nés de l’acceptation chiffrée de ces forces non rationalisables, avec les équations d’onde, avec les statistiques de Boltzman, de Fermi-Dirac, de Bose, d’Einstein, avec les inégalités de Heisenberg. On comprend que Sartre ait déclaré la science sans importance et la nature «inutile». Il est urgent de faire croire aux ignorants que ce qu’ils ne savent pas est inutile et dangereux; sinon, ils vont réfléchir et découvrir que vous les menez en bateau. Le propos de Sartre est aussi perspicace qu’artificieux, parfait exemple de ce qu’il nomme lui-même la «mauvaise foi». En effet, rien n’est plus utile, rien n’est plus important que de savoir comment fonctionne l’univers, nous compris, puisque cette connaissance seule nous éclairera sur notre destinée et nous débarrassera des idéologies. Il est certain que, si l’on s’est donné corps et âme à une idéologie, on doit d’urgence déconsidérer la science et cacher ce qu’elle nous montre. Ainsi s’explique l’espèce de haine névrotique que l’œuvre de Koestler provoque chez les énergumènes. C’est que l’énergumène sait d’avance par révélation ce que seule une modeste et longue étude pourrait lui apprendre. Il refuse cette modeste et longue étude avec effroi, craignant qu’elle ne l’oblige à abandonner ses rassurantes rêveries.
A. Koestler: «Ma religion est le stoïcisme»
Le professeur Debray, qui fit naguère un film de télévision sur Koestler, me racontait la hargne des petits intellectuels ignares de l’O.R.T.F. obligés de prendre part à ce travail. Je connais bien ces petits intellectuels ignares, ayant moi-même travaillé avec eux pendant trente et un ans, épreuve de ma vie! Pour ce genre d’esprits professionnellement enchaînés aux techniques du bavardage, Marx et Freud sont une bénédiction, car ils fournissent les deux ou trois fausses clés qui épargnent de réfléchir. Pour ces petits marquis rouges, Koestler était l’ancien militant communiste dévoyé par le succès et passé dans l’autre camp, fortune faite. Explication automatique, n’exigeant aucune attention. Cependant, si ces fausses clés épargnent l’effort intellectuel, leur usage est dangereux: l’œuvre de Koestler aurait un effet infiniment moins destructeur sur les idéologies s’il n’était qu’un transfuge. Il écrirait maintenant des Anti-Spartacus que, comme Spartacus, chacun lirait sans effort. Il se soucierait bien de physique quantique et de paradoxes du hasard!
Mais, si vous êtes encore capables d’imposer un travail à votre esprit, essayez, les amis, de mettre le doigt dans les Racines du hasard ou dans Beyond Reductionism: c’en sera fini de votre paix intérieure. Vous devrez vous réhabituer à habiter l’incertitude, à regarder l’inconnu au-delà des futurs en trompe-l’œil, à vous demander qui vous êtes, à fréquenter votre propre mystère.
J’ai quand même entendu quelques marxistes et freudiens se demander comment, après ses grands livres de combat, Koestler avait pu se mettre à parler de la lunette de Galilée et des soucis des physiciens. Sancta simplicitas! Ils ne voient pas que les vrais livres de combat, ce sont ceux-là. Seulement, ces livres passent très haut au-dessus des lignes où ferraillent les énergumènes, hors de leur vue, et s’en vont exploser sur leurs arrières, là où grandissent les nouvelles générations. Les énergumènes se découvriront bientôt avec étonnement vieux et seuls. Cela se voit déjà en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, dans les pays scandinaves.
«Ma religion est le stoïcisme», m’a dit un jour Koestler. Le stoïcisme consiste à accepter les choses telles qu’elles sont. Au XXe siècle, il exige un bien plus grand effort intellectuel que du temps de Zénon. Désormais, pour savoir un peu comment sont les choses, il faut beaucoup, beaucoup étudier.
Le stoïcisme moderne suppose aussi, ce qui est encore plus difficile, une totale modestie: on ne sait rien d’avance, on n’a aucune explication universelle, on s’incline devant les faits à mesure que d’autres les découvrent, on accepte d’avance de mourir sans avoir aperçu le but.
«Que le ciel est petit!», dit la grenouille de la fable chinoise en regardant le reflet des étoiles dans son petit rond d’eau, «il tient au fond du puits!»
Le fond du puits est confortable aux grenouilles. Mais seulement aux grenouilles. L’homme aux nerfs solides dont Koestler est le modèle préfère sortir du puits. Avec la vérité nue.■
Aimé Michel
Notes:
(1) À la fin de son livre Ce que je crois, Louis Pauwels résume, en quelques pages claires, et qui suffisent, l’interminable faire-part de ce décès.
(2) A. Michel: «le Grand Dessein», in Question de, n°7.
(3) Quelques philosophes l’ont compris, comme Ruyer en France.
(4)On discutait à perdre haleine de l’impetus quand se manifesta Galilée, et cela durait depuis des lustres. Voir, d’Alexandre Koyré: Études galiléennes (Paris, Hermann). Il ne sert à rien de savoir ce qu’on entendait par ce mot, qui, en latin, veut dire impulsion. Le sens moderne d’impulsion en physique se définit par une mesure qui ne doit rien aux prédécesseurs de Galilée.
(5) A. Koestler: l’Étreinte du crapaud (Paris, Calmann-Lévy).
(6) A. Koestler: Les racines du hasard (Paris, Calmann-Lévy).
(7) Certains biologistes supposent que les malheurs de l’homme naissent de l’incoordination de son cerveau de reptile avec son cerveau de mammifère supérieur, que l’évolution a simplement superposés.