Chance et malchance: des dons parapsychologiques?
Revue Question De. N°10, janvier-février 1976
1 La chance
Une récente expérience, réalisée aux États-Unis par les deux parapsychologues D. Dean et Mihalasky, vient de faire entrer la parapsychologie dans la voie des applications par un biais inattendu.
Dean et Mihalasky sont des vétérans de la parapsychologie. Nos lecteurs ont peut-être entendu parler des expériences sur l’action de la «pensée» sur les plantes, réalisées à travers l’Atlantique par Douglas Dean et le Docteur Jean Barry, de Bordeaux[1]. Ces expériences avaient montré que l’action (inconnue) de la «pensée» pouvait modifier à distance la croissance végétale. Il est plus que prudent de mettre ici le mot «pensée» entre guillemets, étant donné qu’on ignore complètement l’agent de cette influence bien démontrée par les expérimentateurs.
Cette fois, l’objet de l’expérience Dean-Mihalasky était le comportement humain dans ce qu’il a de plus insaisissable: pourquoi certains hommes, que rien d’autre ne distingue du point de vue physique, intellectuel, tempéramental, psychologique, connaissent-ils le succès dans leurs entreprises et d’autres l’échec?
L’idée de chercher du côté de la parapsychologie vint aux auteurs de l’observation bien connue qu’à l’origine de nombreuses entreprises (au sens large) aboutissant à un succès il y a une sorte de compréhension subite, comme irrationnelle, d’une situation donnée, et de ce qu’il faut faire sur-le-champ pour la dominer et en tirer le but recherché. Les exemples historiques sont innombrables, non seulement dans des cas où le simple esprit de décision permet peut-être de tout expliquer (plans de bataille des grands chefs de guerre), mais même dans les plus hautes spéculations intellectuelles, comme les découvertes mathématiques, où le fait incompréhensible est la certitude absolue qu’on a découvert la vérité, bien que la démonstration, seule capable de donner rationnellement cette certitude, n’ait pas encore été écrite ni même trouvée. On a sur ce point le témoignage formel des plus grands esprits, Newton, Poincaré, Einstein et bien d’autres.
Dean et Mihalasky pensèrent que peut-être la vision prémonitoire obscure, mais profondément ressentie, jouait un rôle dans ce processus, fût-ce à l’insu du sujet.
Les conditions de l’expérience
Leur expérience fut conduite, avec la participation de la compagnie I.B.M., sur plusieurs milliers d’«executives», disons: de gens ayant de hautes responsabilités dans la société américaine. Ces «executives» furent choisis pour leurs succès et pour leurs échecs habituels (je ne sais pas comment fut résolu le délicat problème du choix des «tocards»).
C’est sous sa forme la plus abstraite que fut testé l’éventuel don prémonitoire. Chacune de ces milliers de personnes fut invitée à prévoir une série de cent chiffres qui devaient être ensuite triés de façon aléatoire par un ordinateur. Étant donné qu’il existe dix chiffres, le hasard prévoyait donc un coup au but sur dix en moyenne, c’est-à-dire dix sur les cent de la série.
Les résultats réels sont très intéressants: les «executives» à succès obtiennent à peu près régulièrement des scores supérieurs à dix, certains allant jusqu’à vingt- deux. Les «tocards» obtiennent des résultats non moins remarquables: ils sont inférieurs aux prévisions du hasard!
La veine ou la déveine ne sont plus irrationnelles
On sait depuis longtemps, en parapsychologie, qu’une expérience, pour réussir, doit être prenante, elle doit exciter l’intérêt. Dans le test Dean-Mihalasky, l’intérêt est au plus bas. Rien ne sollicite l’imagination dans une série aléatoire de cent chiffres. Cependant les résultats sont là, montrant une étroite corrélation avec le succès social, entité impalpable s’il en est, objet de cultes magiques ou, si 1’on préfère, superstitieux, depuis 1’Antiquité (la déesse Tyché chez les Grecs, Fortuna chez les Romains, etc.). Ces résultats fournissent, de ce qu’on appelle la chance, une interprétation inattendue: on ne peut plus qualifier d’irrationnelle la croyance à la «veine» (ou la «déveine»). Seulement, ce n’est pas ce qu’on s’imaginait. Ce n’est pas le résultat d’une intervention surnaturelle. C’est l’addition, indéfiniment répétée tout au cours de la vie, de petites différences par rapport à l’expectative du hasard, petites différences imputables à une faculté prémonitoire plus ou moins présente chez chacun. Dans la série continue des actes de chacun où le choix n’est pas fondé sur des éléments rationnels, le facteur psi intervient, et c’est cela la chance. Un certain nombre d’hommes (peut-être tous) devinent sans le savoir une partie des événements ultérieurs et agissent en conséquence, les uns en choisissant dans un sens qui leur sera favorable, les autres (et c’est là l’étrange) en choisissant contre leurs intérêts. Ce sont ces derniers qui obtiennent des résultats inférieurs au hasard. Ils appartiennent à cette catégorie de gens «qui ont la poisse», ou même, dans la mesure où ils influencent les autres, «qui portent la poisse».
Et si l’on cherchait du côté des planètes?…
La question est évidemment de savoir pourquoi, dans un lot de gens ayant une prémonition égale de l’avenir, les uns tournent cette connaissance (obscure) dans leur intérêt, les autres contre leur intérêt. Nous entrons là dans la psychologie des profondeurs, l’étude des tempéraments et, qui sait? peut-être les typologies planétaires de Gauquelin[2]. Il serait intéressant de rechercher une corrélation possible entre les résultats du test Dean-Mihalasky et ces typologies. Le comble serait que l’on découvrît une corrélation! Car, dans ce cas, il serait démontré expérimentalement que les configurations planétaires ont une influence sur la chance dans la vie des individus!
Je me risque à annoncer qu’une telle corrélation existe et sera bientôt mise en évidence. Je me fonde sur le principe de Halmes: quand on a cherché partout sans rien trouver, la solution doit être là où l’on a oublié de chercher. Or les psychologues ne savent pas à quoi rattacher le succès. Le facteur déterminant n’est ni l’intelligence, ni le travail, ni le sérieux, ni l’équilibre, ni la fermeté de caractère, ni l’ambition. Il est, par exemple, remarquable que nos deux derniers présidents de la République, Pompidou et Giscard, tous deux éminemment compétents dans la matière la plus laborieuse, à savoir l’économie et les finances, n’ont pas été des laborieux. Leurs adversaires et même leurs amis leur ont reproché la rapidité de leur travail. Et pourtant…
La réalité du facteur chance
Cet exemple historique m’en rappelle un autre montrant que l’esprit le plus rationaliste et le plus sceptique de notre histoire avait su reconnaître la réalité du facteur chance dans la réussite. Talleyrand venait de nommer un ambassadeur dont c’était le premier poste.
«Ah! Monseigneur, dit celui-ci éperdu de reconnaissance, quelle joie pour moi qui n’ai jamais eu de chance!
– Vraiment, Monsieur? dit Talleyrand d’un air pensif. Pourriez-vous, s’il vous plaît, me montrer le texte de votre nomination?»
Il la reprit, la déchira et ajouta:
«Je ne peux risquer à ce poste un ambassadeur qui n’a pas de chance.»
Une dernière remarque qui nous ramène à notre introduction: d’une part, rien n’est plus intéressant pour une société que de repérer ses dirigeants qui ont de la chance (et d’ailleurs aussi ceux qui n’en ont pas); d’autre part, aucun test n’est plus simple que celui de Dean-Mihalasky: verra-t-on bientôt apparaître un test pour choisir les cadres d’avenir et éliminer les autres?■
Aimé Michel
Notes:
(1) Lire à ce sujet: Rémy Chauvin, Certaines choses que je ne m’explique pas (Paris. Ed. Retz, 1975).
(2) M. Gauquelin: l’Hérédité planétaire (Paris, Planète, 1966).