La vie existe sur Mars
Article paru dans Science et Vie N°505 d’octobre 1959
De l’observatoire du Pic du Midi, M. Camichel voit la planète Mars avec autant de précision que ses collègues les plus favorisés des U.S.A. ou d’U.R.S.S. Au moment où l’hiver martien arrive à son terme dans l’hémisphère sud de la planète, celle-ci se présente dans l’oculaire comme une petite boule orangée, nantie de deux calottes blanches. Mars, en effet, a des saisons, puisqu’elle est inclinée sur le plan de son orbite. À ce moment, la calotte supérieure (celle du pôle sud, car l’instrument renverse les images) est la plus vaste: elle couvre une surface 20 fois égale à celle de la France, alors que l’autre est réduite à un point d’une centaine de kilomètres de diamètre.
La saison avance. En même temps, la calotte blanche se rétrécit, d’abord lentement, puis de plus en plus vite. Vers le milieu du printemps, des fissures apparaissent, segmentant la calotte qui se disloque, présente des régions d’éclats variés, et se désagrège alors rapidement[1]. Des fragments s’isolent de la tache principale, persistent quelque temps comme la neige sur les montagnes terrestres, puis disparaissent. La calotte continue à décroître jusqu’à l’été.
Mais en même temps que la calotte polaire se rétrécit, un autre phénomène se propage depuis le pôle jusqu’à l’équateur et au-delà: c’est l’extension et l’assombrissement des régions sombres. Remettons notre œil à l’oculaire, et regardons la planète vers la fin de l’hiver austral.
Entre les calottes, nous remarquons tout d’abord que la couleur orangée n’est pas générale. La surface de Mars présente des détails d’une couleur différente, plus sombre, et que la plupart des observateurs qualifient de verdâtre. Au premier abord, il semble que ces taches sombres dessinent une configuration permanente, comme sur la Terre la forme des continents et des montagnes. Et en effet, en gros, elle est permanente. La carte en a été dressée, notamment par l’astronome français Antoniadi. Cependant, une observation plus attentive révèle que ces taches sombres ne sont pas figées.
Tout d’abord, on remarque que la calotte polaire est bordée d’une frange sombre qui accompagne ses fluctuations. Mais ce n’est pas tout. Quand la calotte commence à fondre, on constate que certaines taches sombres poussent des prolongements sur les zones claires voisines, et cela progressivement, depuis le pôle jusqu’à l’équateur et au-delà, à mesure que la saison s’avance.
En même temps, les couleurs changent. Une bande brune se déplace rapidement vers l’équateur, substituant aux colorations grises, bleutées ou verdâtres des régions sombres, des teintes franchement brunes ou marron qui révèlent une grande diversité de constitution. «Cela, écrit Vaucouleurs, fait saisir sur le vif l’extension de «quelque chose» qui prend naissance dans la zone polaire pendant la décroissance de celle-ci, et se propage ensuite dans toutes les directions en provoquant des modifications dans les régions sombres.» Cette propagation parcourt 6’000 km d’un pôle vers l’autre en 130 jours, soit 45 km par jour, ou 50 centimètres à la seconde!

Il faut arrêter un instant sa pensée sur ce prodigieux phénomène. Imaginons ce que serait sur la Terre la progression sur un front de milliers et de milliers de kilomètres d’une vague d’assombrissement avançant de 45 kilomètres par jour! Certes, le printemps change aussi nos couleurs terrestres, mais il s’agit sur Mars de quelque chose de fondamentalement différent, puisque le mouvement part du nord pour avancer vers l’équateur à mesure que l’été approche. La vague d’assombrissement qui submerge Mars chaque printemps est bien liée aux saisons. Mais elle est surtout en liaison avec la fonte des calottes polaires. Or, ces calottes sont faites d’eau congelée, la chose est maintenant démontrée. Et comme il est démontré aussi qu’aux conditions de pression et de température de Mars, l’eau n’existe pas à sa surface à l’état liquide, c’est donc la sublimation de l’eau congelée des pôles et sa circulation dans l’atmosphère sous forme de vapeur qui est à l’origine de cette gigantesque métamorphose printanière de la planète. Les taches sombres changent de nature à mesure qu’elles sont atteintes par la vapeur d’eau en provenance des pôles. Cela résulte des travaux des météorologistes qui, comme l’Américain Hess, ont étudié la propagation de la vapeur d’eau dans l’atmosphère martienne. En particulier, cette diffusion explique parfaitement la vitesse de la vague d’assombrissement.
Ni mousses, ni lichens
Nous sommes maintenant au seuil de l’été. La calotte est déjà fortement réduite et fendillée, comme si la neige ne subsistait plus par endroits que sur les hauts plateaux. Les plages sombres commencent à brunir dans les régions tempérées de l’hémisphère austral (en haut), alors qu’elles sont presque complètement décolorées dans l’hémisphère nord (en bas). Dans les régions équatoriales, elles sont encore bleu vert, mais elles ne tarderont pas à tourner elles aussi au marron, avant de se décolorer en automne, tandis que le même cycle recommencera à partir de la calotte opposée.
Ces vastes régions sombres revigorées par l’eau polaire ont une structure étrange. Elles sont parsemées de veines, ou de marbrures, dont les prolongements se terminent en pointe vers équateur. Ces pointes à leur tour se prolongent par de minces filaments; ce sont les fameux «canaux».
Que sont les régions sombres de Mars et les canaux qui les prolongent? Dès le début du siècle, de nombreux astronomes n’ont pas craint d’affirmer qu’il y avait là, vu à des millions de kilomètres, le témoignage d’une vie lointaine et mystérieuse. Et comme une telle hypothèse excitait l’imagination, on affirma (Lowell et ses élèves) que les Martiens, dotés d’une technique toute-puissante, avaient canalisé l’eau des pôles pour irriguer les vastes déserts auxquels Mars doit sa couleur rouge. On précise même que les canaux étaient souterrains, munis de stations de pompage, etc. Beaucoup de savants agacés par ces spéculations que rien ne fondait, prirent le parti adverse, et comme il arrive fréquemment en pareil cas nièrent tout en bloc: la vie sur Mars était un mythe, les canaux n’existaient pas, tout cela s’expliquait parfaitement d’une façon beaucoup plus simple par la circulation naturelle de la vapeur d’eau, voire par une activité volcanique intense (Mac Laughlin).
En fait, il y a dix ans déjà, beaucoup d’astronomes admettaient la possibilité sur Mars d’une vie élémentaire fondée sur la circulation saisonnière des maigres réserves d’eau de la planète. Les mousses et les lichens étaient alors «à la mode». On faisait des rapprochements avec la vie précaire des très hautes montagnes terrestres, et l’on pensait qu’une telle comparaison suffisait à rendre compte des faits. Cela ressortait notamment des travaux du Russe Tikhov sur la végétation des hauts plateaux du Pamir.
Et puis, le professeur Salisbury, spécialiste de physiologie végétale à l’Université du Colorado, fit remarquer que le lichen n’expliquait rien. «Cette plante de type plat et à écailles, dit-il, ne pousse que très lentement, à raison de quelques millimètres par siècle. Comment expliquerait-elle des changements rapides comme on en découvre chaque fois que Mars rapproché de la Terre permet l’observation?»
C’est lors de la première réunion du Comité International de la planète Mars, le 17 juin 1957 que Salisbury rendit cette communication publique L’astronome américain Richardson, qui assistait à cette réunion, devait écrire plus tard: «Salisbury fut l’un des quelques orateurs dont je regrettai qu’il n’en dise pas plus long. Son exposé suscita une discussion animée, et un orateur en tira fort clairement la leçon en déclarant avec force que nous ne savons rien sur la «végétation» martienne, ce qui fut très applaudi par l’auditoire.»
En fait, l’hypothèse du lichen était morte. Personne n’y croit plus maintenant. Les résultats obtenus en France par Audoin Dollfus, l’astronome aéronaute, confirment la réfutation de Salisbury: ses mesures de polarisation des régions sombres ne montrent aucune coïncidence avec les mousses ni avec les lichens.
Une expérience décisive
Alors, si les régions sombres de Mars n’étaient pas imputables aux organismes élémentaires que nous connaissons sur Terre, par quoi les expliquer? Tout le monde était d’accord sur un point: seuls de tels organismes auraient pu, à la rigueur, subsister dans le rude climat martien. Aucune des espèces vivantes plus évoluées que nous côtoyons ici ne résisterait à la sécheresse, au froid, à l’absence d’oxygène libre, aux basses pressions, aux rayonnements ultraviolets qui caractérisent le conditionnement martien. Écoutons encore Richardson: «La végétation la plus susceptible de survivre sur Mars est le lichen plat et écailleux que l’on trouve sur les roches dénudées et les pierres tombales.» Si ce n’est pas cela, qu’est-ce donc?
Il devenait urgent de mettre au point une expérience décisive, capable de dire si, oui ou non, le mystère des régions sombres était bien celui de la vie.
Ce fut fait. La réponse est catégorique: la vie existe sur Mars, et c’est une vie différente de la vie terrestre…
C’est au docteur William Sinton, de l’observatoire de Harvard, dans le Massachusetts, que revient l’honneur d’avoir conçu et réalisé cette expérience. Il n’est pas exagéré de dire que les travaux de Sinton marquent une étape révolutionnaire dans l’histoire de l’astronomie. C’est la première fois qu’il est établi de façon absolue que la vie n’est pas le privilège de notre planète, et qu’elle peut affecter des formes dont la Terre ne nous donne aucune idée.
Le principe de son expérience est simple. La spectrographie nous apprend que les molécules organiques, produit exclusif de la vie, comportent des liaisons chimiques caractérisées par certaines bandes d’absorption. C’est ainsi que la liaison C-H des molécules organiques lourdes se traduit par deux bandes d’absorption dans les longueurs d’ondes 3,41 et 3,51 microns.
Sinton procède tout d’abord à quelques observations témoins sur la végétation terrestre. Puis, comme Mars approchait de son périgée de 1956, il étudia le spectre infra-rouge de la planète au télescope à réflecteur de 155 centimètres d’ouverture de l’observatoire de Harvard, en utilisant une cellule de sulfure de plomb refroidie dans l’azote liquide.
Malgré la puissance de l’instrument de Harvard, il ne put cette année-là faire des mesures distinctes sur les déserts et les régions sombres et dut se contenter de résultats globaux, donnés par la lumière venant du disque entier de la planète. Mais une première certitude fut acquise: la bande d’absorption de 3,41 microns était visible. D’où provenait cette bande? Des déserts, ou des plages sombres? Impossible de le préciser, mais la bande était là, irrécusable, témoignant d’une vie organique.
Encouragé par cette première découverte, Sinton se prépara activement à accueillir le retour de la planète à sa prochaine opposition, le 16 novembre 1958. Et cette fois, c’est au grand télescope du Mont Palomar, de 5 mètres d’ouverture, qu’il fut présent au rendez-vous.
Les résultats furent sensationnels. Non seulement il put analyser séparément la lumière provenant d’un désert et d’une tache sombre, non seulement il établit la présence des deux liaisons C-H dans la tache sombre étudiée (Syrtis Major) et leur absence dans le désert (Amazonis-Elysium), mais il montra l’existence dans la lumière provenant de Syrtis Major d’une troisième bande d’absorption correspondant à une liaison chimique inconnue dans les corps organiques terrestres, vers la longueur 3,67 microns!
Les conséquences de la découverte de Sinton ne sauraient être éludées. Tout d’abord, elle montre de façon cette fois définitive que les changements saisonniers observés sur la surface de Mars sont bel et bien un phénomène biologique. C’est la vie qui dessine les arabesques de la géographie martienne (on devrait plutôt dire «Aréographie»). C’est la vie qui, au printemps, est le théâtre de cette fantastique métamorphose se propageant à 45 kilomètres par jour (aussi vite qu’une armée moderne) sur des surfaces vastes comme l’Europe et sur des fronts de milliers de kilomètres, métamorphose dont la nature réelle nous échappe, mais qui est assez puissante pour frapper l’œil le moins préparé à des dizaines de millions de kilomètres de distance.
Une biologie inconcevable
Ce qu’il y a de plus troublant dans les résultats obtenus par Sinton lors de l’opposition de 1958, c’est cette mystérieuse bande d’absorption de 3,67 microns. Du point de vue scientifique, on a peut-être fait ces dernières années des découvertes plus importantes. On n’en a fait aucune qui ait une telle signification philosophique. Elle témoigne en effet que la vie peut être fondée sur des chimies organiques différentes, qu’elle est un phénomène cosmique dont la réalisation peut faire appel à des moyens variés, et que les conditions terrestres ne lui sont pas indispensables. Plus précisément, l’originalité de structure des molécules organiques martiennes doit être considérée comme une adaptation fondamentale de la vie aux conditions de la planète rouge. Et si la vie martienne diffère déjà tellement de la nôtre au niveau élémentaire de la molécule, quelle différence, quel abîme doit-on prévoir au niveau plus complexe de l’évolution biologique proprement dite! Cette différence doit s’accentuer proportionnellement au niveau de complexité. La cellule vivante martienne doit être encore plus éloignée de la cellule vivante terrestre, et les organismes supérieurs de Mars, s’il en existe, doivent être prévus comme littéralement inconcevables. Voilà qui promet de fascinantes confrontations au cours des années à venir, maintenant que l’on commence à entrevoir la possibilité de rendre visite à notre voisine…
La découverte de Sinton éclaire aussi d’un jour nouveau certains phénomènes observés depuis longtemps à la surface martienne et pour lesquels aucune explication valable n’a encore été avancée: nous voulons dire les fameux «canaux». Nous entrons ici dans un domaine plein d’arrière-pensées et dont les astronomes n’aiment guère parler, du moins en public.
Les «canaux» en marche
Il faut bien s’entendre quand on parle de «canaux». Il y a plus de cinquante ans qu’aucun astronome ne croit plus à l’existence de canaux véritables, c’est-à-dire de formations rectilignes continues remplies d’eau à ciel ouvert, comme dans les vaines représentations des disciples trop zélés de Schiaparelli et de Lowell. Les Français Antoniadi et Dollfus ont définitivement prouvé que les prétendus canaux n’apparaissent qu’à la faveur, si l’on peut dire, de conditions d’observation défavorables. Un dessin classique de Dollfus montre la région par ailleurs si curieuse de Syrtis Major telle qu’elle apparaît à travers un ciel agité, et à travers un ciel absolument calme. Les «canaux» ne sont visibles que dans le premier cas, quand on voit mal. Quand on voit bien, les prétendus canaux se résolvent en alignements de points distincts, et le nombre de ces points augmente à mesure qu’on voit mieux. En fait, il n’y a pas de canaux: il n’y a que des traînées de taches.
Dans le langage actuel des astronomes, les canaux (qui ne sont pas des canaux), ce sont ces traînées. Et ces traînées existent. Selon Dollfus lui-même, elles constituent «une caractéristique très particulière et spécifique de la topographie martienne». Même leur dédoublement parallèle (leur «germination», comme disait Schiaparelli) persiste dans plusieurs des dessins les mieux assurés et les moins contestés, comme par exemple dans le dessin de Syrtis Major exécuté par Dollfus en 1948 au Pic du Midi.
Or, une étude approfondie de ces traînées, que nous continuerons à appeler «canaux» conformément à la tradition, révèle qu’elles jouent un rôle singulier, et par bien des côtés inexplicable, dans l’évolution de la topographie martienne. Nous avons vu tout à l’heure que les canaux prolongent les grandes taches sombres vers l’équateur et au-delà, à travers les déserts rouges. Ces grandes taches, nous avons vu aussi qu’elles sont le théâtre de grandioses changements saisonniers. Mais d’autres changements n’ont rien à voir avec les saisons. Ils se développent sur des périodes bien plus longues, englobent des dizaines d’années. On les appelle les «variations séculaires». Suivons dans le détail la plus étrange de ces variations, celle qui affecte depuis 50 ans la région de Mare Cimmerium, entre 240 et 260 degrés de longitude, de part et d’autre de l’équateur (figures à 5).

En 1909, Antoniadi, observant cette région, en donnait le dessin reproduit sur la figure I. Au point il signalait en 1924 l’apparition d’une minuscule oasis à laquelle il ne prêta aucune attention.
— Quinze ans se passent et en 1939, à la faveur d’une opposition, les astronomes découvrent que cette région est le théâtre d’un singulier remue-ménage. Tout d’abord, la petite oasis a complètement disparu. Mais en revanche, deux régions précédemment désertiques sont envahies simultanément par une couleur plus sombre, et, doit-on dire depuis la découverte de Sinton, par la vie: elles sont situées à trois ou quatre mille kilomètres de distance l’une de l’autre, respectivement en A (Cyclopia) et en B (Amenthès). Deux ans plus tard, lors de l’opposition de 1941, l’évolution se précise: la tache A pousse deux pointes vers le bas, et ces deux pointes prolongent les pointes préexistantes de Mare Cimmerium.
— Treize ans plus tard, en 1954, Cyclopia n’a guère changé. Par contre, à 2’000 kilomètres de là, Amenthès a progressé vers Cyclopia de plus de mille kilomètres, s’étendant dans tous les sens et occupant maintenant une surface deux fois plus vaste que la France (là où, rappelons-le, il n’y avait 20 ans plus tôt que le désert).
– En 1956, Cyclopia et Amenthès n’ont pas bougé. Par contre, on pressent que quelque chose est en train de se passer là où Antoniadi avait entrevu une oasis en 1924: la couleur rougeâtre du désert s’assombrit.

– Mars revient en opposition le 16 novembre 1958. Et cette fois, le spectacle offert aux observateurs a ceci de stupéfiant que le nouvel aspect de cette région semble donner après coup un sens à une évolution qui durait depuis 50 ans: l’oasis d’Antoniadi a réapparu, et elle a réapparu exactement au point vers lequel les pointes de Cyclopia et d’Amenthès se dirigeaient lentement, année après année, depuis 1939, comme si, me disait il y a quelques semaines un astronome de Harvard, ces pointes avaient su où elles allaient! Le vaste désert situé entre Cyclopia et Amenthès est maintenant bloqué vers la gauche par un nouveau «canal», c’est-à-dire par un alignement de points où se développe la vie. Au cœur même du désert prospère une oasis reliée aux taches sombres préexistantes par trois nouveaux «canaux» longs comme de Perpignan à Dunkerque. Ces trois canaux, partis il y a plus de vingt ans de points aussi éloignés que Paris, Moscou et Constantinople, ont lentement convergé dans le désert, et à leur point de convergence la vie maintenant s’étend et gagne sur la mort environnante: «Tout se passe, me disait cet astronome, comme si cette prodigieuse évolution avait obéi à une finalité…»
Pas d’explication «simple»
On a proposé des explications moins romantiques aux changements que nous venons de décrire. Jusqu’ici les astronomes reconnaissent qu’aucune ne rend compte des faits. On a dit par exemple que l’oasis était une dépression reliée par des vallées à Amenthès, Népenthès et Mare Cimmerium. Curieuses vallées qui se résolvent dans les plus puissants télescopes en alignements de petits filaments sombres de disposition désordonnée, et sans aucun rapport avec la direction générale du «canal»!
Si l’on s’en tient aux faits, aux certitudes, que voit-on?
1° que les variations séculaires de Mars sont continues, progressives, et se développent sur des dizaines d’années. Les «conditions» qui les provoquent doivent donc l’être elles aussi. Ces conditions ne sont pas en rapport avec les saisons ni, apparemment, avec aucune variation d’origine astronomique connue. Avec quoi? On n’en sait rien.
2° que ces variations témoignent d’une plasticité biologique dont la Terre ne nous offre aucun exemple. La vie martienne semble être bien plus souple, bien plus efficace, bien plus rapide dans ses réalisations que la nôtre. Il faut des millénaires pour qu’un désert comme le Sahara change d’aspect. Sur Mars, un désert plus vaste que le Sahara change en quelques années.
Adaptation, évolution… pensée
Or, qui dit plasticité biologique dit adaptation, et qui dit adaptation dit évolution. La vie martienne, telle qu’elle apparaît à notre lointaine observation, témoigne d’une puissante adaptation et d’une haute évolution. Doit-on aller jusqu’à dire qu’elle témoigne aussi d’une activité dirigée, c’est-à-dire d’une pensée? Les spécialistes de Mars commencent à se poser la question. Si on les presse d’y répondre, voici à peu près ce qu’ils disent: «Il y a des arguments en faveur d’une telle hypothèse.» Ne parlons pas des arguments à priori tels que: le propre de la vie est d’évoluer, et toute évolution est ascendante. Ne retenons qu’un argument de fait: les changements séculaires semblent savoir où ils vont. Peut-on vraiment en être sûr dès à présent? Est-il certain que ces changements trahissent de façon irréfutable une finalité? Convenez que la chose est trop énorme pour qu’on la tranche si vite. Il faut poursuivre les observations, trouver des tests nouveaux. Et surtout, il faudra aller voir sur place. D’ici là… Et bien, d’ici là, pensons-y toujours, et n’en parlons jamais…
Que les astronomes y pensent, nous en avons eu un témoignage public, il y a quelque temps, lorsque le Russe Chklovski émit sans sourciller l’hypothèse d’une origine artificielle des satellites de Mars. Que la prudence soit cependant recommandée, c’est ce qui ressortit des réactions suscitées par cette hypothèse. Nous serons peut-être déçus quand nous verrons Mars de près.
Mais ce n’est pas sûr, loin de là.■
Aimé Michel
Note:
(1) Gérard de Vaucouleurs: Physique de la Planète Mars (Albin Michel)