Un entretien avec Aimé Michel – Propos recueillis par Yves Bosson & Michel Hertzog

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Un entretien avec Aimé Michel

Publié dans OVNI-Présence N° 50 de mars-avril 1993 (que l’on peut se procurer ici)

 

Nous nous étions enfin décidés à entreprendre à notre tour le pèlerinage de St-Vincent-les-Forts, petit village des Alpes de Haute-Provence perché sur les contreforts du lac de Serre-Ponçon. Décembre 1990, lendemain de Noël, une route départementale enneigée, un panneau indicateur, enfin: le village. Aimé Michel, on nous l’a promis, ne doit plus être très loin…

Voici quelques extraits choisis de notre entretien. Nous souhaitions en particulier savoir comment l’un des principaux «artisans» de la soucoupologie des années 50 perçoit l’ufologie des années 90 et quel regard il porte – avec le recul du temps – sur sa contribution à l’étude de la soucoupe. Malgré la fatigue, il a longuement répondu, avec beaucoup de gentillesse et de malice, à nos questions.

Aimé Michel

– En ce qui concerne les ovnis vous nous disiez que le tour de la question a été fait voici 20 ans?!

– Depuis une vingtaine d’années et même plus, on ne fait que retomber sur les mêmes histoires qui se reproduisent.

– Selon vous, des affaires telles que celle de Trans-en-Provence, par exemple, n’apportent plus rien?

– Je n’ai pas étudié de façon particulière Trans-en-Provence, mais je connais un peu les personnes qui s’y sont intéressées et naturellement, dans ce cas particulier, elles étaient plus compétentes. Ce qu’il y a de notable dans cette affaire, ce sont les personnes qui l’ont étudiée, mais dans le cas lui-même, il n’y a rien de particulier. Bounias est un très bon biologiste, Esterle et les gens du GEPAN sont compétents pour recueillir les dépositions et les échantillons, etc. Mais à votre question, je réponds par la négative. C’est la manière de l’appréhender qui est plus intéressante que les autres, mais il y a des milliers d’observations bien plus «riches» que Trans-en-Provence, qui malheureusement, n’ont pas été étudiées de la même manière. Vous ne trouvez pas que, par exemple, Socorro est plus intéressant que Trans-en-Provence? Il n’y avait pas de biologiste, il n’y avait personne, on a laissé pourrir ça, les enquêtes n’étaient pas approfondies, on n’a pas analysé le métabolisme des plantes, on n’a pas fait des choses de ce genre. Mais c’était bien plus intéressant, et Valensole encore plus! Je ne connais pas de cas récent, disons de la dernière décennie, qui m’ait fait dire: tiens, ça c’est neuf! Alors, que peut-on faire de plus avec des cas qui sont toujours les mêmes? Évidemment, on peut les étudier mieux, avoir des idées nouvelles sur ce qu’il faut étudier. Si on avait eu l’idée de vérifier le métabolisme des plantes en 1954, on aurait eu des centaines d’occasions de le faire. En 1954, j’ai reçu d’un enquêteur sur place, dans un petit paquet, des échantillons de la terre, des plantes de l’endroit de l’atterrissage et des divers endroits proches d’un cas. J’avais des amis biologistes, astronomes et je leur demande ce que l’on pouvait faire de ça. Ils ont répondu: il faut voir si cela n’est pas radio-actif. Voilà le type d’idée que l’on avait en 1954!

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Célèbres affaires de Socorro (U.S.A., 1964) et de Valensole (France. 1965) qui ont tant impressionné Aimé Michel.

– Avec les observations qui ont été faites en Scandinavie en 1946 et donc, avant la date fatidique de 1947, vous aviez déjà été sensibilisé par ce type d’observations…

– Ce n’était pas des ovnis, mais j’ai été très intéressé par les derniers événements de la guerre à laquelle j’avais pris une petite part, et ces fusées qui avaient dégringolé sur Londres à la fin de la guerre et qui n’avaient cessé de dégringoler que lorsque l’Allemagne a été complètement écrasée. Comme les savants qui travaillaient là n’avaient pas disparu et que l’on ne savait pas où ils étaient, on se demandait ce qu’ils faisaient. Quand on s’est mis à raconter ces histoires-là, on s’est dit: «ce sont les Russes qui continuent leurs expériences sur la Baltique». On était à mille lieues d’imaginer à quoi cela mènerait. D’ailleurs, on n’a pas fait le rapprochement tout de suite, tant s’en faut. En 1947, quand qui vous savez, en descendant de son avion, a dit «j’ai vu des soucoupes volantes», moi personnellement je n’ai pas prêté attention, je l’ai lu. J’avais un service de documentation qui était très bien fait à l’ORTF, où tout ce qui a été publié sur ce sujet a été archivé comme tout le reste. La presse mondiale était découpée et rangée dans des classeurs et la documentation a commencé à s’accumuler avant que je ne m’y intéresse, dans un service qui était au deuxième étage du 118, Champs-Élysées où je travaillais pour l’ORTF à cette époque. J’ai pris l’habitude d’aller feuilleter ce genre de truc quand je me suis dit: «tiens, ce qui est raconté aux États-Unis ne signifie-t-il pas que les Américains aussi ont quelque savant allemand?» Ensuite, il y a eu le livre de Keyhoe[1]

Les trois premiers livres sur les ovnis parus en français, en 1951. Celui de Keyhoe figure au 1<sup>er</sup> plan.
Les trois premiers livres sur les ovnis parus en français, en 1951. Celui de Keyhoe figure au 1er plan.

qu’un ami éditeur m’avait prêté en me demandant ce que j’en pensais. Il voulait savoir si cela valait le coup d’être traduit. Je lui ai dit: «c’est mal écrit, on ne sait pas si c’est un reportage, si c’est un mauvais roman de gare américain, je ne puis rien vous dire. Si vous trouvez que c’est bon comme roman, publiez-le! On ne sait pas si c’est vrai. Il cite des gens à l’US Air Force sans que l’on sache s’ils existent, il faudrait faire une enquête et je n’en ai pas les moyens». Je ne sais pas quand cela a été publié en France, de quand cela date?

– De 1951, je crois…[2]

– En 1951, ça a été publié Keyhoe?! En France? C’est possible d’ailleurs, je n’en sais rien. Enfin, je l’avais lu au moment de sa parution. Vous savez comment cela fonctionne dans les maisons d’édition: des agents littéraires reçoivent des livres du monde entier et essayent de les caser par-ci, par-là et cet ami en question (je ne sais pas si c’était lui qui l’avait reçu ou un de ses amis agent littéraire), qui dirigeait une maison d’édition, ne voulait pas le publier chez lui (ce n’était pas son genre et l’ouvrage est paru ailleurs). C’est un type très bien, très consciencieux et qui faisait lire les livres par les gens qu’il supposait être compétent. Là, je n’étais pas compétent, et pour cause. La compétence, qu’il est difficile de trouver en 1990, était à ce moment-là inexistante, y compris chez le brave Keyhoe; ce n’est pas un livre comme cela qu’il aurait dû faire, il n’aurait pas dû le faire sous la forme d’un reportage, car c’est cela qui a tout tué. Enfin, je ne veux pas dire du mal de Keyhoe, il a fait comme il a cru devoir faire et… oui, il a fait comme il a cru devoir faire, c’est un honnête homme mais ce n’est pas comme cela qu’il fallait faire de toute façon. Il fallait faire une enquête sans partir, comme il l’a fait, du préjugé que l’armée nous cache quelque chose. L’armée était complètement paumée et d’ailleurs s’en foutait. Il fallait faire une enquête sur les témoins.

– C’est ce que vous avez fait par la suite?

– Alors, moi, non, je ne l’ai pas fait tout de suite. Je me suis mis à le faire vers, oh pff, je ne peux pas dire qu’il y a un commencement précis, mais comme je m’intéressais toujours aux essais prétendus ou supposés des savants américains et des russes, j’étais à l’affût de toute espèce d’information, de choses que l’on voyait dans le ciel et je crois que la première fois, c’est à la Météorologie Nationale où j’ai vu des comptes-rendus d’observations établis par des gens de la météorologie qui ne correspondaient pas du tout à ce que l’on voit lorsque l’on essaie des fusées et ça je l’ai rencontré plusieurs fois. Une fois, j’étais chez Clausse, qui était sous-directeur de la Météorologie Nationale, qui était un de mes copains. On discutait de cela, non pas des ovnis, de ces machins que l’on voyait. Il me dit: «tiens, j’ai peut-être quelque chose qui vous intéresse là!» Il me sort un dossier de cas d’observations de choses intéressant peut-être la météorologie, peut-être pas, que les météorologistes avaient envoyé à l’avenue Rapp et qui étaient classés par Clausse. Et là j’ai vu des cas, vraiment, qui ne relevaient pas de la météo, absolument d’aucune façon possible, et cela a éveillé ma curiosité. Mais, je ne me rappelle pas bien si j’ai fait le rapprochement avec Keyhoe, peut-être que c’était avant Keyhoe, je ne me le rappelle pas, c’est trop loin[3]. À un certain moment, je me suis dit qu’avec tout ce que j’avais comme documents, c’était quand même intéressant. Alors je connaissais un éditeur qui voulait absolument que je fasse un livre sur les mystères du ciel, car on parlait beaucoup de fusées que l’on commençait à lancer – et peut-être que l’on lancerait bientôt des fusées dans la Lune. Et cet éditeur m’a demandé de faire un livre là-dessus et, petit à petit, ce livre s’est transformé en un livre sur les ovnis, qui ne s’appelaient pas encore les ovnis, avant que j’ai fini d’écrire le livre, ça s’appelait «soucoupes volantes» et le livre s’appelait Lueurs sur les soucoupes volantes, c’était mon premier livre [sur le sujet] qui est paru en 1954…

– Et qui est paru avant la vague!

– Qui est paru avant la vague. Et alors ça, c’est un coup de veine extraordinaire car j’ai reçu un tas de commentaires de personnes très intéressantes et dont les plus sérieuses m’engueulaient en me disant que j’avais très mal écrit mon bouquin, que c’était mal foutu, sans méthode. C’était là les commentaires les plus intéressants, émanant d’astronomes, de biologistes, de savants et au moment où la vague s’est développée, j’avais une petite équipe de gens avec moi qui était fin prête. Elle n’était pas fin prête en réalité parce qu’elle ne savait pas ce qu’il fallait chercher.

On le sait un peu mieux maintenant mais on ne le sait pas tellement mieux. Par exemple, les arrêts de voiture [il répète le terme deux fois, à voix basse, comme pour mieux y réfléchir], c’était vrai en 1954, on dirait qu’on n’en parle plus! … des arrêts de voiture ou en tout cas des perturbations d’appareils électriques?

– Il me semble que vous avez raison, c’est quelque chose qui a disparu ou en tout cas qui s’est raréfié… Que retenez-vous des discussions constructives concernant l’orthoténie et Bavic, que ce soit par Vallée ou par d’autres?[4]

Bavic
Mystérieux objets célestes – Dessin de Jean Latappy

– C’est pas Vallée qui a fait les recherches les plus approfondies, c’est un type du comité Condon, avec lequel j’ai perdu tout contact maintenant, parce que je lui ai dit que ça m’emmerdait, qui est Saunders, mais d’autres aussi, qui n’ont pas leur nom dans la soucoupologie, qui sont des astronomes, pas ceux qui sont connus des ufologues, et qui me disent: «vous vous êtes foutu dedans, ce n’est pas comme cela qu’il fallait faire, il fallait prendre tout et prendre toute la vague. Il n’y a aucune justification dans votre bouquin de la division jour par jour»[5]. C’est exact, j’étais d’abord frappé par Bavic, puis j’en ai cherché d’autres après, je ne sais pas pourquoi j’ai mis jour par jour. Parce que Bavic, c’était quand même surprenant, à la date d’un certain jour. C’était comme cela que c’était sorti sur ma carte. J’ai été orienté dans une direction, dans une impasse, car c’est une impasse. Sauf peut-être Bavic! Saunders pour un tas de raisons me reprochait et me le reproche sûrement encore.

La recherche actuellement, il faut se défier, tout en la pratiquant, il faut se défier de la voie strictement scientifique qui nous mène 9 fois sur 10 dans des culs-de-sac, parce qu’on ne trouve rien. Il faut s’en défier, non pas pour faire de l’anti-science, mais pour se dire, pour mettre un point d’interrogation, enregistrer, réfléchir.

Ce que j’en retire, c’est la nécessité, voir le discours de la méthode, du classement, des dénombrements. C’est très difficile à faire. Vous entrez dans un pré où se trouvent des milliers de fleurs et de feuilles. Classez et dénombrez! Si vous n’êtes pas un botaniste, vous regardez ça et vous crevez idiot! À 99 ans. C’est ce qui s’est passé pendant des milliers d’années, car il a fallu attendre Linné pour voir un classement convenable, qui est resté. Comment savoir qu’il faut regarder les graines, les graines qui sont cachées, les graines qui ne sont pas cachées? C’est tout à fait secondaire quand on regarde un pré, ça! On voit des fleurs; on pourrait d’abord les classer par couleurs. Fausse piste! C’est pourtant la plus évidente! Le nombre de pétales: fausse piste. Je ne suis pas botaniste, des fausses pistes, il y en a des milliers. Il y en a un qui finit par dire: avec graines, sans graines. Toute la taxonomie botanique est encore fondée sur Linné et ma foi, cela a permis des découvertes extraordinaires en génétique.

– Vous nous parliez de votre rencontre avec un militaire qui s’appelait Clérouin!

– Clérouin m’avait dit dès… 1950… je ne me rappelle pas quand, mais dès le début [fin 1952, début 1953], alors qu’il était capitaine à l’époque, il a fini je crois colonel ou général, il doit être encore vivant; il m’avait dit: «Mon vieux, faites voir votre dossier!». Il regarde ça et me dit: «Foutez ça dans un placard, fermez bien et n’y pensez plus. Vous avez l’air d’un type dégourdi, faites autre chose!»

Voilà le conseil que j’aurais dû écouter. Est-ce que c’est le conseil que je vous donne? [soupirs] De toute façon, ça ne sert à rien, vous voyez bien puisque Clérouin m’a prouvé par A + B qu’il fallait mettre le dossier dans un placard et ne plus y penser, en y donnant de bonnes raisons et j’ai continué quand même. Ah, ça m’a peut-être sauvé d’autres conneries! C’est un fait que la soucoupologie – excusez-moi, mais je suis dans le coup aussi! – la soucoupologie attire les dingues. La première fois que je suis allé dans une réunion de soucoupologues distingués, c’était Thirouin. J’ai vu ces gens, je me suis dit merde… ça déraille.

– À l’époque, vous aviez aussi rencontré un certain Latappy?[6]

– C’est le vrai précurseur! Il a vu quelque chose qui était manifestement rien de connu, c’est absolument sûr, alors qu’il faisait «mathélem». C’était en pleine nuit, sur le lac d’Annecy, c’était silencieux, c’est passé devant les montagnes, ça a survolé le lac, devant lui, en silence. Voilà!

– Vous aviez dit qu’en ufologie, il fallait penser à tout et ne rien croire…

– Ne rien croire… ne rien croire sans preuves. Vous n’êtes pas d’accord avec cette maxime? Ça empêche… être attentif à tout, ça implique une investigation serrée.

J’étais très copain avec Yves Rocard, le physicien. Quand il était directeur du laboratoire de physique, on discutait souvent de tout ça, on avait convenu que la meilleure manière de s’y prendre pour étudier, malheureusement elle avait été ratée au départ. Il aurait fallu n’en jamais parler. Première erreur: moi, j’en ai parlé! Mais il fallait selon moi, selon lui, créer un petit organisme portant un nom n’ayant aucun rapport ni avec les phénomènes atmosphériques, qu’on puisse lire mille fois, que la commission des comptes en épluchant les comptes de n’importe quel organisme public voie ça et dit: «oui en effet, ce n’est pas de la soucoupe». Et cet organisme, il faudrait qu’il reste informel, qu’il n’ait pas de nom, qu’il soit composé d’un certain nombre de gens se connaissant et à qui on donne des moyens de faire quelques dépenses, mais sur d’autres budgets. Parce que moyennant ça, on supprimait une grande partie du bruit de fond: des types qui inventent n’importe quoi, qui veulent se rendre intéressant (il n’y en a pas tellement qu’on croit, m’enfin ils existent), malheureusement, les plus roublards, c’est ceux qui fournissent les cas les plus troublants, il y a parmi eux des gens qui peut-être nous ont fourgué des cas auxquels nous croyons!

– Ça aurait été une sorte de collège invisible…

– D’ailleurs, ça a existé pendant un certain temps. Sauf qu’il n’y avait pas de pognon. Entre 60 et 75, il y a quand même un nombre assez grand de types qui pouvaient faire n’importe quoi. Je pouvais demander tel rapport classifié dans l’armée de l’air américaine. Je l’avais. S’il y avait une recherche à faire nécessitant de très gros ordinateurs à l’époque, on pouvait. Il y a eu un certain temps où effectivement ça a existé. Ça nous a amené à quoi? À rien de particulier! Certainement, on n’a pas posé les bonnes questions. Vous êtes jeunes, alors à vous de trouver les bonnes questions, moi je ne les ai pas trouvées.

Marignane
Affaire de Marignane, du 27 octobre 1952, avec l’observation du douanier Gachignard.
Enquête et dessin de Jean Latappy.

– Vous venez d’évoquer le Collège invisible[7] qui donc a existé de 60 à 75, pendant 15 ans grosso modo…

– Oui, laissez-moi réfléchir, en 60 qu’est-ce qui se passait? Non à partir de 58 ou 59, quand Hynek est venu me voir. À partir de ce moment-là, on pouvait faire à peu près tout ce qu’on voulait! Hynek est venu me voir, je n’arrive pas à me rappeler si c’était en 58 ou en 59, je crois que c’était en 59[8]. J’étais encore à Vanves à l’époque, il est venu me voir avec un assistant… un astronome très connu, américain d’origine française, ledit astronome avait amené avec lui un de ses assistants qui avait un matériel de pointe pour l’époque (la photocopie maintenant, c’est rien, mais en 58-59, pour photocopier à toute allure) … qui avait photocopié tout ce que j’avais. Cet astronome m’a dit le premier: «Eh bien mon vieux, votre histoire d’alignement c’est complètement idiot. Pourquoi avez-vous pris un jour», etc. Un type beaucoup plus important que Hynek.

– Il s’appelait de Vaucouleurs!

Non[9], quand il voudra parler de ça, il n’est pas mort, il n’a jamais parlé de ça, s’il veut parler de ça, qu’il en parle. Dans toute ma vie, on m’a fait confiance, à cause de ça, je suis un tombeau.

– Donc, il avait photocopié toute votre documentation de l’époque…

– Il avait photocopié ma documentation concernant 54 et ensuite elle a été envoyée en Amérique à quelqu’un d’autre qui l’a de nouveau photocopiée; maintenant ça existe à je ne sais combien d’exemplaires. J’ai tout arrêté, j’ai lâché les pédales, je suis descendu du train vers 1973, par là. Plus rien n’est classé, toutes mes lettres sont en foutoir, tout ça, je n’ai plus rien. J’ai … je me suis rendu compte qu’il y avait des gens beaucoup plus compétents que moi qui faisaient tout ce que je pouvais faire dans tous les domaines. Hein, c’est vrai! Qu’est-ce que je pouvais faire de plus? Alors je fais certaines choses maintenant, j’ai un copain qui fait de la recherche informatique, on discute de questions fondamentales de logique, on n’écrit rien, ça me plaît bien. Ces choses-là, ça me plaît bien. Mais encore m’intéresser à la soucoupe, non! Non merci, comme dit Cyrano, je ne veux plus être mêlé à cela!

– Pourquoi cela?

– Parce que, comme le disait Louis de Broglie, sans me vanter, Louis de Broglie était très vieux et on lui demande quels sont ses projets. Il dit: «mes projets sont très limités». Vous savez, quand on a mon âge, ils sont très limités mais de plus en plus précis. Quand on arrive au bout de ses jours, il y a certaines choses auxquelles il faut penser et qui ne sont pas celles-là.

– On parlait tout à l’heure du Collège invisible, vous en êtes un peu l’initiateur, celui qui a mis en contact les différentes personnes…

– Oui, oui, oui, l’initiateur, à cause de l’âge peut-être, je suis plus vieux que Vallée qui faisait encore ses études quand il m’a connu, alors, ensuite, bon, surtout les gens qui ont…, ça s’est fait sans intention déterminée et le terme «Collège invisible» a été employé pour la première fois par Vallée[10]. C’était ça, mais ça a existé et il y a des gens dont personne n’entendra jamais parler!

– Ah bon!

– Non!

– Il y avait beaucoup de personnes?

– Oh, oui, beaucoup de personnes!

– Et des personnes qui ne tenaient absolument pas à ce que l’on connaisse leur intérêt pour le sujet des ovnis?!

– C’était plus compliqué que ça, c’était [il chuchote presque] plus compliqué… c’était organisé. L’organisateur était un type d’origine hongroise, Américain, l’entourage de Carter, avant que Carter ne devienne président des États-Unis, il avait monté avec une compagnie électronique universellement connue qui ne le payait pas, mais qui lui disait: «Voilà, vous avez un bureau, vous avez tout ce qu’il vous faut, vous téléphonez le temps qu’il vous faut, à qui vous voulez, n’importe quand, si vous avez quelque chose à photocopier, vous photocopiez en cent, en mille exemplaires!» Et ce type, je suppose qu’il faisait partie des services français ou américains, j’en sais rien, c’est bien possible, en tout cas, il était au centre dans l’espèce de toile d’araignée où tout ce qui était intéressant circulait, publié ou pas. Il avait une liste des choses intéressantes où il disait, voilà, moi, ce qui m’intéresse… Alors toutes les choses dont il avait connaissance étaient photocopiées par lui et distribuées et inversement: si j’avais quelque chose à faire circuler dans tous les pays du monde, y compris auprès de prix Nobel, eh bien ça circulait. Ça a vraiment fonctionné, puis le type a disparu!

– Il était en France, son bureau était en France?

– Non, non, non!

– Ça fonctionnait depuis les États-Unis?

– Ça fonctionnait aux États-Unis!

– Et c’était donc lui le noyau central?

– Oui, c’était le noyau, mais du point de vue des ovnis, il y avait une sorte de Collège invisible qui n’était pas réservé aux ovnis, mais qui servait à un certain nombre de personnes s’intéressant aux ovnis à échanger des connaissances.

– En France, parmi les gens que l’on connaît, quels sont les membres du Collège invisible?

– Ça, je ne peux pas vous le dire!

– On sait que vous, Vallée en faisaient partie… On suppose d’autres noms: Rémy Chauvin probablement…

– Évidemment oui…

– Guérin, des gens comme ça…

– Oui! Mais si je vous dis oui et non, heu… ça ne marche plus hein!

– Qu’est-ce qui a fait que ce Collège invisible finalement, s’est arrêté?

– Le Hongrois a disparu de la circulation et les autres comme moi ont vieilli… sont morts. Comme le disait Bergier, je lui dis: «vous ne trouvez pas qu’ils meurent un peu trop les types»; il me dit: «écoutez, tout de même, vous ne voulez pas qu’il n’y ait qu’eux qui ne meurent pas quand même» [rires].

– Est-ce que d’après vous, il y aurait une relation éventuelle de cause à effet entre la baisse d’activités du Collège invisible, vers 1975, et la création du GEPAN, deux ans plus tard?

– La relation est à travers le rapport Condon. Parce que le rapport Condon, c’est un projectile qu’on a envoyé en l’air et qui nous est retombé sur la tronche. Si vous recherchez les origines du rapport Condon, vous trouvez une séance de la Chambre des représentants sur la vie, éventuellement l’activité extraterrestre, une commission dans laquelle avaient déposé Hynek, un tas de types, Menzel, Sagan. Alors cette commission a décidé de créer un comité d’étude et le milieu scientifique américain n’était pas du tout prêt à monter quelque chose, ou alors le choix était mauvais, j’en sais rien; en tout cas tout le monde pensait que ce serait Hynek qui ferait ça. Hynek, le pauvre, il était directeur de l’Observatoire Dearborn, de l’Université de Chicago, c’est un observatoire qui n’est pas de la merde, m’enfin ce n’est pas… il s’est heurté à des gens plus… que lui, bref, c’est Condon qui a eu le budget. Tout ça a échappé aux mains de types qui comptaient faire une vraie étude. Quand Condon a publié son rapport et Saunders son contre-rapport, il y a un type qui était au CNES en France et qui suivait la question de loin, prudemment, qui s’est dit: «c’est le moment» et s’est jeté à l’eau, il a pris contact avec ces gens-là, Vallée, Clérouin, tout ça, il a contacté Fouéré, il a voulu voir tout le monde et puis il a fait son GEPAN.

– Il n’y a donc pas de rapport entre la fin du Collège invisible et la création du GEPAN! Sauf que Poher a rencontré les membres du Collège invisible.

– Oui, et puis que, moi personnellement, quand je voyais le GEPAN et puis Poher fonctionner, je me suis dit: je ne sers plus à rien! J’arrête!

– Vous aviez quand même été à une époque consultant du GEPAN!

Ça n’est pas donné à tout le monde de créer un service officiel, savez-vous comment en fait Poher a réussi à décrocher?

– Je crois que, il y a eu un hasard aussi en effet, vous faites bien de poser cette question, c’est que à ce moment-là, il s’est trouvé que le Ministre des Armées, comment s’appelait-il déjà, Galley?

– Galley, oui!

– Il a eu la curiosité de se demander: «mais enfin qu’est-ce qu’il y a là-dedans» et de fouiller dans les archives qui traînaient par-ci par-là depuis…, depuis Clérouin, et avant, de se faire une idée et de se dire, mais: il y a quelque chose de vrai. Ça s’est su, ça s’est su je crois grâce à Bourret. Ou peut-être, je sais pas, parce que, quand même, cousin, Poher est cousin, président du Sénat, je sais pas quoi moi, je sais pas exactement comment ça s’est su, enfin bref…

– Poher du Sénat?

– Poher, président du Sénat, il était un peu cousin, alors peut-être je sais pas la raison exacte, je ne lui ai jamais demandé, parce que j’ai jamais eu envie d’écrire l’histoire de tout ça, ça ne m’intéresse pas tellement d’ailleurs.

Mais enfin, comment Poher a-t-il réussi à décrocher, d’obtenir, car c’est le plus difficile, des crédits pour engager des gens… si c’est parce que Galley voulait, il voulait savoir. Alors que Galley voulait savoir, Poher l’a su je vous dis soit par Bourret, soit par l’autre Poher, soit par un autre… parce que vous savez, c’était quelqu’un d’important au CNES à l’époque, c’était un type très brillant Poher, je ne sais pas ce qu’il est devenu.

– Comment jugez-vous vos livres?

– Je m’y suis mal pris là encore, dans la rédaction de ces bouquins. Le premier [Lueurs sur les soucoupes volantes, Marne, Tours, 1954] m’avait permis de me rendre compte que ni les militaires, ni les savants n’étaient disposés à y mettre du leur, ça leur aurait coûté quelque effort. Le second livre [Mystérieux objets célestes, Arthaud, Paris, 1958], je l’ai écrit, pour faire quelque chose de sérieux, de convaincant, c’est-à-dire non pas pour convaincre que c’est vrai, mais convaincre que c’est sérieux quoi, pour attirer l’attention de gens que je ne connaissais pas encore et c’est un calcul qui s’est avéré juste, c’est à la suite de ça que Hynek est venu me voir. Le bouquin est paru d’abord aux États-Unis.

J’aurais dû faire comme on fait maintenant: date, temps, témoin, ce que dit le premier témoin, le deuxième témoin, analyse du sol. Point. Pas de commentaires. Mais ça, il a fallu faire toutes les sottises que nous avons faites pour s’en rendre compte.

– Et Métanoia?

Métanoia, c’est-à-dire que c’est toujours pareil, c’est un livre que je n’aurais pas écrit si on ne m’avait pas dit: «au lieu de raconter toutes ces histoires que tu sais, pourquoi tu ne les écris pas? Tiens je te donne 10’000 balles et puis tu m’écris ça pour telle date». Alors je l’ai écrit. Mais je n’avais aucune raison de l’écrire. Je ne suis pas un écrivain, je ne suis pas un savant, je suis un… je ne sais pas quoi, je suis un amateur, un amateur, comme… comme on pouvait l’être jadis, maintenant comme de nouveau, on commence à tolérer qu’on le soit. Mais je suis mal tombé, je suis tombé à une période où il fallait uniquement des spécialistes et tout ce qui n’était pas spécialiste, pfuit… Je ne me plains pas parce que, en fait, j’ai eu une vie très intéressante.

– Concernant l’affaire Ummo, puisque nous sommes tout près de la Javie, vous aviez reçu du courrier ummite?

– J’ai reçu une lettre, alors ça a l’air idiot, mais je l’ai donnée cette lettre, je ne me rappelle même plus à qui! Un type qui m’a dit: ça m’intéresse ça! Oh, ben j’ai dit: prenez-la! Il n’en revenait pas. D’ailleurs, c’était un aérogramme. Il me semble que ça venait de Berlin, je n’en suis pas absolument sûr! Les gens en reviennent pas que j’ai donné ça. Effectivement, je l’ai regretté après, parce qu’on peut rien en tirer, mais enfin, c’est curieux comme un timbre!

– Que vous reproche-t-on en définitive, l’orthoténie?

– Oh, non, ce qu’on me reproche c’est de m’être occupé de soucoupes volantes. On me le reprocherait plus maintenant, mais j’ai traîné cette casserole toute ma vie. Pourtant je m’intéressais à des tas de choses différentes. Seulement la soucoupe, ça a intéressé plus un certain public. D’ailleurs, quand j’ai vu de quel public il s’agissait, j’ai complètement cessé ma carrière. Les choses sérieuses qui peuvent être faites là-dessus n’ont pas besoin de ce public-là, voilà, je regrette!

Maintenant, je lis tout ce qui se dit sur le changement de culture en Europe au néolithique: quand est-ce que les langues européennes se séparent? Je trouve des choses très intéressantes, que je ne publie pas parce que où les publier, je ne suis pas spécialiste, alors je l’ai dit à des gens qui sont spécialistes et qui un jour ou l’autre le publient. Je suis très curieux, je suis curieux de tout, vraiment, quand on a ce genre d’esprit, on est conduit à papillonner, mais la connaissance actuelle prend toutes les formes de papillonnage.

Propos recueillis par Yves Bosson & Michel Hertzog.

Notes:

[1] Flying Saucers Are Real, paru aux États-Unis en 1950.

[2] Publié en français sous le titre Les Soucoupes volantes existent. L’achevé d’imprimé est du 5 février 1951. II s’agit du deuxième ou troisième ouvrage publié en français sur le sujet des soucoupes, avec ceux de Scully (achevé d’imprimé le 30 janvier 1951) et Heard (1er trimestre 1951).

[3] Il semble que ce soit après Keyhoe: «Je tenais la preuve [à la lecture du dossier météo] que les récits de Keyhoe n’étaient pas une invention pure et simple. Des témoins qui ignoraient jusqu’à l’existence de l’auteur américain décrivaient les mêmes phénomènes que lui» (voir A. Michel «Les tribulations d’un chercheur parallèle», Planète n° 20, janvier 1965).

[4] On se rappelle que, suivant les conseils de son ami Jean Cocteau, Aimé Michel avait noté qu’en reportant les cas d’observations de la vague de 1954 sur une carte de France, il semblait se former, pour une journée donnée, une certaine logique avec la présence de lignes droites composées de trois points et plus (d’où le nom d’orthoténie).

[5] Il s’agit de la répartition jour par jour des cas de la vague française de l’automne 54.

[6] Jean Latappy («Le premier chercheur historique en matière de soucoupes volantes») avait été présenté à Aimé Michel par le Capitaine Clérouin, en fin 52/début 53.

[7] Il s’agit d’un groupe informel de scientifiques échangeant des informations et des réflexions sur les ovnis, de façon discrète, afin de ne pas subir les sarcasmes de leurs collègues ou de nuire à leur carrière.

[8] C’est bien 1959, voir Mystérieux objets célestes, Seghers, 1977, p. 326.

[9] …et pourtant, il s’agit bien de Gérard de Vaucouleurs, comme… Aimé Michel l’indique dans Mystérieux objets célestes, Seghers, 1977, p. 326!

[10] Le terme, d’usage courant aux États-Unis (invisible college), désigne en fait un collège informel de scientifiques n’appartenant pas à la même institution mais s’intéressant à un sujet donné. Il y a donc eu au départ, comme le souligne Jacques Scornaux, une erreur de traduction qui fit le succès de l’expression auprès des ufologues francophones, avec une connotation «société secrète».

 

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